Vie et maladie spirituelles aux origines du christianisme

Jean Zumstein

Introduction

Notre séminaire est consacré au thème « maladie et santé ». Comme le soulignent de plus en plus fréquemment de nombreux milieux médicaux, la notion de santé ne saurait être limitée à sa dimension purement physiologique, elle inclut également une composante spirituelle. Comment faut-il aborder cette thématique ? Qu’est-ce que la « santé spirituelle » ? Et, le cas échéant, peut-on parler de « maladie spirituelle »?

Avant toute autre choses, il nous faut commencer par nous intéresser à la notion de spiritualité. Dans nos sociétés, le mot « spiritualité » a remplacé, dans un sens positif, celui de religion. Si la religion est désormais mal vue, la spiritualité, elle, jouit, d’un crédit considérable. Mais dans ce grand marché où les offres les plus diverses se côtoient, où chacune, chacun est appelé à composer son menu personnel, qu’entend-on par « spiritualité » ? Est-ce une émotion ? Est-ce un état intérieur ? Est-ce une pratique rituelle structurée ? Est-ce une conviction élaborée ? De quoi s’agit-il ? A une telle question, la réponse est plurielle. Pour notre part, nous nous concentrons dans cet exposé sur la position des premiers chrétiens, une position qu’ils avaient en commun avec les grandes sagesses de l’Antiquité.

1. Petit rappel anthropologique

2. Être en conversation avec soi-même

3. La question du sens

4. La maladie spirituelle

En abordant ce thème, on pensera en priorité à Pascal et à sa définition du divertissement : « La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement, et cependant c’est la plus grande de nos misères. Car c’est cela qui nous empêche principalement de songer à nous » (Pensée 171).

1) la superficialité et l’inconstance ou, selon PAS, le flottement→ le règne de l’opinion publique, du conformisme. « L’esprit de l’individu séjourne dans un tissu d’opinions vagues et invérifiables par principe. Interrogé, l’homme qui vit dans le flottement répondra sur le mode du « on dit que » ou du « on sait que » et renverra toujours à une autorité étrangère quand on lui demandera de justifier ses propos. » L’être humain sera dans cette constellation esclave de la pensée dominante

2) l’absorption dans les soucis, dans la réalité immédiate. PAS : « L’affaissement consiste à être prisonnier de la réalité immédiate présente, suivant le cours des événements et des institutions… Seul est considéré comme réel ce qui advient de jour en jour dans sa réalité brute. Il est probable que nous rejoignons ici ce que les stoïciens dénonçaient comme la servitudes des passions. » 

3) La passion exclusive qui absorbe toute l’existence, p.ex. l’argent. (Mt 6,24)) PAS « L’obsession qui consiste à être braqué sur une réalité déterminée, laquelle exerce un pouvoir de séduction exclusive dans la vie de l’individu ». Cette séduction exclusive peut se présenter sur le mode de l’attirance ou de la répulsion (occasionnée par une réalité angoissante ou terrorisante). Description traditionnelle : l’homme qui s’est rendu esclave d’une seule passion, et qui se révèle incapable d’en faire abstraction pour regarder au-delà.

4) Le renoncement délibéré, l’effondrement de la question du sens. « Il est le plus souvent totalement privé de sens de poser la question du sens » → nihilisme

5) PAS :« Le désordre, qui consiste à ne pas se préoccuper de la cohérence des propos que l’on tient, ou des pensées que l’on a en différentes circonstances, ou à tenir des propos qui ne correspondent pas avec la manière dont on oriente son comportement. » Absence d’une ligne directrice de pensée, absence de correspondance entre la ligne directrice de pensée et la ligne directrice du comportement.

6) « L’hétéronomie, qui consiste à être conscient d’une cohérence de la pensée ou du comportement, mais à imputer cette cohérence à l’autorité ou au pouvoir d’une personne ou d’une instance étrangère. » La pensée captive.

7) PAS « le délire et la sclérose qui consiste à demeurer enfermé dans une optique en refusant toute mise en question parce que l’on est persuadé d’avoir raison dans l’absolu et de détenir la seule interprétation valable de la réalité ». Cette vie sclérosée se caractérise par le refus de l’ouverture à l’expérience et au dialogue.

Conclusion : Découvrir un sens à la vie

La spiritualité des premiers chrétiens est dominée par la question du sens de la vie. La conversation intérieure est faite d’écoute, de questions, de réflexions, de décisions, d’engagements. Placé devant Dieu, en lien avec les autres, le croyant cherche toujours à nouveau à structurer la compréhension qu’il a de sa vie et de la conduite à adopter. Sa vie intérieure ne cesse d’être en éveil et en débat (= santé). Elle s’élabore dans la réception et l’appropriation d’une parole intelligible qui donne sens à la vie quotidienne dans ses différentes dimensions. La vie spirituelle est toujours en construction. Elle est toujours ouverte.

Je terminerai par cette déclaration du Grand Inquisiteur à Jésus dans les Frères Karamazov : « En cela, tu voyais juste. Le mystère et la raison d’être de l’existence humaine ne sont pas en effet dans la volonté de vivre, mais dans le besoin de savoir pourquoi on vit. Sans certitude sur le but de la vie, l’homme ne consentirait pas à être au monde. »