Taleb et l’imprévisible

Cher Marc-André,

Merci de ton texte et d’avoir effectué cette mise en évidence du rôle de l’imprévisible dans la foi chrétienne. Ta démarche comparative avec celle de Taleb est audacieuse et bienvenue en ce qu’elle pose la question des conditions du maintien de la reconnaissance de l’imprévisible. J’aimerais en ce qui concerne ta présentation de Taleb ajouter quelques remarques à celles que tu as déjà émises. En effet ma lecture des œuvres de Taleb me fait résister à ton assimilation de sa conception à celle d’un humanisme. Je me permets de développer un peu longuement mon point de vue.

1. Ma lecture de ta démarche

Tu nous as présenté la conception de Taleb, axée sur une reconnaissance poppérienne des limitations de la raison et sur les conséquences de l’irréductibilité de l’imprévisible. Tu as mis en évidence sa conception de la pragmatique dont le noyau est l’idée de chercher l’anti-fragilité, ainsi que son principe éthique, de ne pas développer d’antifragilité aux dépens d’autrui. Tu y as vu une pragmatique à caractère réactif, une attitude de non-maîtrise, où l’on s’avoue exposé et vulnérable face à l’avenir, où au lieu de prétendre pouvoir calculer et prévoir, on se concentre sur l’ici et le maintenant. Tu vois son principe « pas d’antifragilité aux dépens d’autrui » comme une éthique, qui sans rendre compte de son ancrage, mettrait cependant Taleb du côté de l’humanisme.

Tu rappelles que pour Paul l’existence du chrétien est marquée doublement par l’imprévisible; imprévisibilité de la manière dont Dieu s’est révélé dans la Croix, imprévisibilité du futur qui nous est promis. Existentiellement, ce rapport à l’imprévisible est appel à la confiance, dans un rapport de distance au monde, jamais essentiel mais toujours pris au sérieux, exprimé par le « comme si ne pas » ou quand bien même, une confiance paradoxale. La conception de Paul s’effondrerait si l’on ne pouvait poser la distinction entre l’intériorité et l’extériorité, si les faits déterminaient leur sens, si la réalité n’était constituée que de l’observable. De plus l’attitude envers autrui déborde celui du simple respect, il ne s’agit pas simplement de ne pas empiéter sur sa liberté et sur sa sécurité, mais de sollicitude et de rencontre, d’attention à sa personne.

Dans le paragraphe Paul rapporté à Taleb, tu fais remarquer que Taleb ne se soucie pas de la différence intériorité-extériorité, et que c’est une faiblesse de la position de Taleb, en évoquant le risque que sa position dérive.

Mon dièse

Je dirais même que c’est la faiblesse majeure de sa conception et que le glissement vers une position non critique envers l’avenir y est opéré, car toute faite de confiance démesurée en un processus évolutionnaire. On pourrait dire qu’il n’y a qu’un type d’imprévisibilité que reconnaît Taleb, celui des événements objectifs, mais sur fond d’une indéfectible croyance à une évolution, voire à un progrès. Au niveau subjectif, l’attitude recommandée est plutôt celle d’une présomption de sa force et d’un élan effronté vers l’avenir, que celle de la conscience de la fragilité et de l’attention à l’ici et au présent.

2. Ma lecture de Taleb

Quand je me suis mise à lire les ouvrages de Taleb, Antifragilité et Jouer sa peau, ce qui m’a frappée c’est non seulement la virulence polémique mais son insistance à prendre pour cible un certain nombre de thèmes, qu’il présente comme interdépendants : le scientisme et son arrogance certes, mais aussi les fonctionnaires, les enseignants universitaires, la modernité, l’administration publique, l’Etat, la parlote; j’ai été très surprise de sa manière de parler des entrepreneurs, qu’il désigne comme les véritables héros de notre temps, surprise qu’il puisse affirmer que l’argent purifie les rapports interpersonnels, surprise enfin que tout en se prétendant attaché à une pensée critique, ( Popper) à la mouvance sceptique, à Bayle même, il évacue avec si bonne conscience la sphère de l’intériorité, réduise les convictions religieuses à leur fonction de survie, présente de manière récurrente le monde des transactions commerciales comme la vraie vie. Il affirme par exemple, qu’il était sûr au printemps 2016 que Trump allait gagner étant donné qu’il présentait les signes de celui qui est dans la vraie vie, de celui qui a eu le courage de risquer sa peau [1]. Dans ce contexte, sa devise, prétendument éthique, jouer sa peau, m’est apparue quelque peu limitée... et peu compatible avec la notion existentielle de s’exposer dans la rencontre d’autrui.

Je suis aussi quelque peu méfiante quand on fait de la modernité l’origine de tous les maux, car bien souvent cet apparent mouvement critique n’est là que pour nous vanter la sagesse antique, l’ontologie, et nous débarrasser de l’ancrage subjectif de la connaissance.

Je trouvais aussi que beaucoup de mots-clefs que j’avais présentés comme l’armature de la pensée économique post-fordiste se retrouvaient parées des vertus d’une sagesse critique et devenaient les a rm o i ries du défenseur de tous les pigeonnés de la terre... Ainsi peut-on lire au début de Antifragile: « Si l’antifragilité est foncièrement propre à tous les systèmes naturels (et complexes) qui ont survécu, on risque de nuire à ces systèmes en les privant de la volatilité, du hasard et du stress. Alors ils s’affaiblissent, meurent ou explosent. Nous avons fragilisé l’économie, notre santé, notre vie politique, notre éducation, presque tout... en maîtrisant le hasard et la volatilité. De même que si l’on passe un mois au lit (avec, de préférence, une version in extenso de Guerre et Paix ou l’accès à l’intégrale des quatre-vingt-six épisodes des Sopranos), on verra ses muscles s’atrophier, de même, on affaiblit et l’on peut même tuer les systèmes complexes en les privant de stress. Une bonne part de notre monde moderne et structuré nous a porté préjudice avec des politiques top-down et des machins (que je qualifierai ici de « fantasmes Soviet-Harvard ») dont l’effet est précisément d’offenser l’antifragilité des systèmes. Telle est la tragédie de la modernité: comme les parents excessivement et obsessionnellement protecteurs, ceux qui essaient de nous aider sont souvent ceux qui nous font le plus de mal. » [2] Ce thème récurrent du stress m’a alertée, puisque ses bienfaits sont souvent développés dans la littérature néo-managériale. J’ai par ailleurs, très vite retrouvé dans ses exemples de stratégies antifragiles, la conception de l’efficacité néo-libérale: éloge de l’esprit d’initiative, du dépassement de soi dans le stress, de l’adaptabilité, de la flexibilité, de la diversification, du risque, de la réduction de l’Etat.... Tout cela fleurait des airs déjà connus, et peu en accord avec l’humanisme.

Taleb affirme appartenir à un mouvement qui n’est pas un parti, le libertarisme: « Nous autres libertariens partageons toutefois un minimum de croyances, notamment celle de substituer l’Etat de droit à la règle d’autorité. Nous croyons aux systèmes complexes. » [3] Ses références les plus basiques sont F. Hayek [4] pour la philosophie économicopolitique et Ron Paul [5], cité dans la dédicace de

Jouer sa Peau, [6] pour les prises de positions politiques qui relèvent du libertarisme, (terme qui recoupe celui-de néo-libéralisme, que l’on désigne ainsi pour le distinguer du libéralisme politique issu de Locke. Ce courant de pensée s’oppose tout particulièrement à la démarche de Rawls.)

J’ai donc essayé de démêler ce qui relève de la rhétorique pamphlétaire, de la provocation (par exemple proposer que la recherche universitaire ne se fasse que sur le temps de loisir) et des options politico-philosophiques élaborées.

Les questions qui m’ont guidées sont les suivantes: Y a-t-il dans cette pensée une dimension humaniste? Peut-on détecter dans ces ouvrages de Taleb, une catastrophe, une pensée simplifiée qui la rendrait tout à fait incompatible avec la foi chrétienne d’une part, certes, mais aussi avec l’humanisme?

J’ ai peu à peu reconstitué la structure et la dynamique de cette pensée, dont les principales thèses ont été, me semble-t-il, élaborées par Hayek.

3. Taleb dans la mouvance libertarienne

3. 1 . Le libertarisme de Hayek

On trouve déjà dans l’œuvre de Hayek une référence à Popper. Popper a développé une critique de la rationalité positiviste et hégélienne dans l’idée de s’opposer à tout totalitarisme. Hayek, reprend l’idée d’une hybris scientiste. Sa critique de la raison trop présomptueuse se fait à partir de la notion de constructivisme, qui serait la prétention de pouvoir conduire la politique sociale et économique d’après un calcul ou un modèle prétendument rationnel. Toute tentative de construire une société à partir d’un modèle rationnel est voué à l’échec. La croyance que tout ce qui est institué l’a été sur la base d’un exercice de la raison est fausse. Cette critique de la possibilité d’une conduite volontaire et rationnelle de la réalité politico-sociale aboutit à la thèse de l’efficacité des ordres spontanés.

A l’opposé de la conception constructiviste, le libertarisme s’en remet à ce que le système produit comme ordre spontané pour sa propre conservation, à condition que l’on ne fasse pas obstacle à ses modalités de fonctionnement. Ainsi en est-il du marché qui possède son principe autorégulateur: L’o rd re ne doit pas être introduit volontairement dans le social, mais il est immanent au social et il faut le découvrir et le protéger, non le produire.

Par cette critique des limites de la raison et du constructivisme, c’est tant le socialisme, le marxisme que la démarche de Rawls qui sont visés, puisque que ce dernier présente une démarche déductive de la justice.

La philosophie politique de Hayek repose sur l’idée que le principe fondamental est un principe individualiste. Le principe le plus important est celui du respect de la liberté individuelle Cette liberté est définie tant au niveau des croyances que des goûts et des initiatives, de son action, liberté individuelle à la base des contrats. Elle conduit à un renforcement du droit de propriété sur le fruit de son travail, (idée que certains libertariens utiliseront pour s’opposer à une redistribution corrective des inégalités).

La reconnaissance de la limitation de la raison jointe au principe de la liberté individuelle conduit à
une conception de l’Etat réduit à son strict minimum : assurer la sécurité non sociale mais juridique, le respect de la liberté. Par état de droit, qu’il oppose à principe d’autorité, Hayek entend un état qui s’en tient aux droits formels mais qui renonce à toute législation concernant les droits créance, qui ne cherche pas à intervenir sur les rapports sociaux, par exemple par un droit du travail, par une législation sur l’assurance sociale. L’efficacité des ordres spontanés selon Hayek s’explique par l’action de processus de sélection qui ne retiennent que les règles de conduite permettant d’augmenter les chances de survie et les institutions sociales rendant possible la poursuite d’un tel o bj ectif. Le critère de la rationalité est celui qui gère les risques de manière à rendre possible la survie de l’ensemble sans prétendre pouvoir anticiper avec certitude par le calcul ce qui arrivera.[7]

3.2. Reprise de Hayek par Taleb

Je donne ci‐dessous quelques éléments et extraits des œuvres de Taleb pour faire apparaître son lien profond au libertarisme et la dynamique de sa pensée.

3.2.1. L’antifragilité dans le cadre d’une pensée anti-constructiviste et évolutionniste

Taleb reprend cette conception anti-constructiviste quand il prône l’antifragilité. Il justifie l’efficacité de la stratégie de l’antifragilité en affirmant que c’est la méthode que la nature applique en tant que système complexe. Il reporte dans l’organisation de la vie sociale et économique l’idée que la méthode de développement la plus efficace pour la survie de l’ensemble est celle qui consiste à avoir toujours plusieurs options, à utiliser le stress et le jeu de la concurrence. La survie du système repose à la fois sur une possibilité d’innover et sur le sacrifice de tentatives ou solutions qui se révèlent moins intéressantes pour la survie de l’ensemble.

La vie économico­‐sociale est conçue comme un système complexe qui crée un ordre spontané, pour autant que ce qui permet les stratégies efficaces face à la volatilité, à l’imprévu, au stress, ne soit pas perturbé ou empêché. Il s’agit de laisser faire la concurrence et le marché s’organiser.

3.2.2. Antifragilité, agressivité naturelle et compétitivité

Selon Taleb, la nature nous donne l’exemple d’une évolution par stratégie d’adaptation aux événements imprévus et susceptibles de menacer la vie: procéder par bricolages successifs, création d’options, etc. méthode transposée au monde économico-social, à la culture, au développement des connaissances. Mais Taleb relève le côté agressif de la nature et le fait que l’élimination des non- adaptés fait partie de sa stratégie de survie de l’ensemble. La concurrence exacerbée renforce le tout, elle est un gage de progression, de progression de qualité dans ce que l’on produit.

3.2.3 . Tension insurmontable entre le point de vue de l’individu et le point de vue collectif.

«Pour que l’économie soit antifragile et qu’elle subisse ce qu’on appelle une évolution, chaque entreprise individuelle doit nécessairement être fragile et exposée à une détérioration : l’évolution a besoin que des organismes (ou leurs gènes) meurent quand ils sont supplantés par d’autres organismes, afin de réaliser une amélioration ou d’éviter la reproduction d’organismes qui ne seraient pas aussi aptes que les autres. En conséquence, l’antifragilité du niveau le plus haut pourrait exiger la fragilité – et le sacrifice – du niveau le plus bas. Chaque fois que vous utilisez une machine à café pour votre cappuccino matinal, vous profitez de la fragilité de l’entrepreneur en cafetières électriques qui a fait faillite. Son échec a contribué à la réalisation de la marchandise supérieure qui se trouve à présent sur le comptoir de votre cuisine. » [8]

« Alors que le sacrifice en tant que modus vivendi est évident dans le cas des colonies de fourmis, je suis certain que les hommes d’affaires n’ont personnellement guère envie de se faire hara-kiri pour le plus grand bien de l’économie; ils ont donc nécessairement intérêt à rechercher l’antifragilité ou du moins un certain niveau de robustesse pour eux-mêmes. Ce qui n’est pas nécessairement compatible avec l’intérêt de la collectivité, c’est-à-dire de l’économie. Il existe par conséquent un problème tel que les vertus de la somme (le groupe) diffèrent des vertus de chacune des parties : de fait, elles ont besoin de nuire aux parties.

Est‐il douloureux de penser qu’une nature impitoyable est un facteur d’amélioration? Quelle est donc la solution? Il n’en existe pas, hélas, qui puisse plaire à tout le monde, mais il y a moyen d’atténuer le tort que l’on cause aux plus faibles [9]. » [10]

3.2.4. La concurrence comme régulation aveugle: au niveau individuel la conscience de sa fragilité est contre‐productive.

« Ce problème est plus grave que l’on ne croit. Des individus intègrent des écoles de commerce pour apprendre à se débrouiller tout en assurant leur survie, mais ce que souhaite l’économie, en tant que collectivité, c’est qu’ils ne survivent pas, ou plutôt qu’ils prennent un grand nombre de risques imprudents et qu’ils soient aveuglés par les chances. Leurs industries respectives s’améliorent d’échec en échec. Les systèmes naturels et semblables à la nature veulent que les agents économiques individuels aient une confiance aveugle en eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils surestiment leurs chances de succès et sous-estiment les risques d’échec dans leurs affaires, pourvu que leur faillite n’ait pas d’impact sur les autres. Autrement dit, ces systèmes exigent une confiance aveugle localisée, mais non globale.

Nous avons vu que si la restauration est d’une si merveilleuse efficacité, c’est précisément parce que les restaurants sont vulnérables au point que beaucoup font faillite, et parce que les entrepreneurs ignorent cette éventualité, étant convaincus de leur réussite. Autrement dit, une catégorie de prise de risques imprudents, voire suicidaires, est salutaire pour l’économie, pourvu que tout le monde ne prenne pas les mêmes risques et que ceux-ci demeurent faibles et localisés. » [11]

La seule parade à l’effet catastrophique de la concurrence est d’empêcher l’effet dominos en conservant l’action économique au niveau local. Taleb semble penser que la seule cause de l’effet domino est l’interventionnisme étatique.

« Or, en perturbant ce modèle à coups de renflouements, comme nous le verrons, les gouvernements favorisent comme d’habitude une catégorie d’entreprises assez grandes pour exiger qu’on les sauve afin d’éviter que leurs difficultés ne se propagent à d’autres entreprises. C’est le contraire d’une prise de risque salutaire: cela revient à transférer la fragilité de la collectivité aux éléments inadaptés. Les gens ont du mal à se rendre compte que la solution consiste à concevoir un système où personne ne peut entraîner les autres dans sa chute, car les faillites successives servent à

préserver le système. Paradoxalement, de nombreuses interventions gouvernementales et autant de politiques sociales finissent par faire du tort aux faibles et par consolider l’ordre établi. » [12]

On peut confondre l’antifragilité du système avec celle de l’individu, alors qu’elle se produit en réalité aux dépens de l’individu. (...) (c’est la différence entre l’hormèse et la sélection). La célèbre expression de Nietzsche, « ce qui ne me tue pas me rend plus fort », peut être facilement interprétée de travers dans le sens de la mithridatisation ou de l’hormèse. Il peut s’agir d’un de ces deux phénomènes, c’est tout à fait possible, mais cela peut aussi bien signifier: « Ce qui ne m’a pas tué ne m ’a pas rendu plus fort, mais m’a épargné parce que je suis plus fort que les autres; mais cela en a tué d’autres et la population moyenne est désormais plus forte parce que les faibles ont disparu. » [13].

3.2.5. Taleb en écho à Hayek se déclare un humaniste utopiste.

Après avoir défendu l’antifragilité au niveau du système global, Taleb prend ses distances avec la

fusion communautaire dénoncée par Canetti, et revendique une position humaniste utopiste. [14] Il prétend résoudre le problème de la fracture entre le point de vue individuel qui contient le risque de l’élimination d’avec celui du tout destiné à la survie par la compensation symbolique des cultes de reconnaissance aux faillis, victimes du jeu de la concurrence.

3.2.5.1. L’individu, fondement de la philosophie libertarienne

« Cette tension manifeste entre les intérêts de l’individu et ceux de la collectivité est nouvelle en histoire: autrefois, la question était réglée par le fait que l’individu n’avait quasiment pas d’importance. Le sacrifice au nom du groupe est à l’origine de la notion d’héroïsme, qui fait du bien à la tribu si elle fait du mal à ceux qui périssent au plus fort de la guerre. Il y a chez l’homme une espèce d’interrupteur qui tue l’individu en faveur de la collectivité lorsqu’il s’engage dans des danses communautaires, des émeutes ou dans la guerre. Votre état d’esprit devient celui du troupeau. Vous faites alors partie de ce qu’Elias Canetti appelle la foule rythmique et palpitante. On peut aussi faire l’expérience d’une autre variété d’extase collective à l’occasion d’une émeute, lorsque la fièvre du groupe fait complètement disparaître la crainte de l’autorité.

Certain es des idées sur la forme physique et la sélection ne mettent pas votre serviteur très à l’aise, ce qui rend la rédaction de certains chapitres assez douloureuse : je hais le caractère impitoyable de la sélection, l’inéluctable déloyauté de la Nature. Je hais la notion d’amélioration au préjudice d’autrui. En tant qu’humaniste, je m’oppose à l’antifragilité de systèmes qui opèrent aux dépens des individus, car si vous suivez mon raisonnement, ils nous rendent, nous, les humains, individuellement superflus. Un des grands bienfaits du siècle des Lumières a été de mettre l’individu en évidence, avec ses droits, sa liberté, son indépendance, sa « quête du bonheur » (quel que soit le sens que l’on donne au mot « bonheur ») et, surtout, son intimité. Malgré son déni de l’antifragilité, le siècle des Lumières et les systèmes politiques qui en sont issus nous ont (quelque peu) libérés de la domination de la société, de la tribu et de la famille qui ont prévalu tout au long de l’histoire. » [15]

« Nous avons vu quels étaient les échanges entre les intérêts de la collectivité et ceux de l’individu. Une économie ne peut survivre sans que des individus en fassent les frais; la protection est nocive, et il ne semble pas recommandé de contraindre les forces de l’évolution à faire d bien aux individus. Mais nous pouvons protéger les individus contre la famine, leur fournir une protection sociale [16]. Et assurer le respect. Ou davantage encore, comme nous allons le voir.

3.2.6 . L’héroïsme entrepreneurial et la reconnaissance compensatoire envers les écrasés et humiliés.

« En attendant, si, en tant qu’utopiste (vraiment), je hais ce que j’arrive à comprendre, je crois qu’il y a de l’espoir. L’héroïsme et le respect qu’il exige est une forme de compensation que procure la société à ceux qui prennent des risques pour les autres. Et l’entreprenariat est une activité risquée et héroïque, nécessaire à la croissance ou même à la simple survie de l’économie. C’est aussi une activité nécessairement collective pour des raisons épistémologiques, afin de faciliter le développement des compétences. Celui qui n’a rien trouvé fournit son savoir aux autres, et le savoir le meilleur, celui du manque (ce qui ne fonctionne pas), mais il n’en est guère récompensé, sinon pas du tout. Il est au centre du processus, mais ce sont les autres qui en reçoivent la récompense, et le pire, c’est qu’il ne jouit d’aucune considération). Je suis ingrat envers l’homme qu’une confiance aveugle a conduit à ouvrir un restaurant et qui a fait faillite, dégustant un repas succulent tandis qu’il se nourrit peut-être de thon en boîte.

Pour progresser, la société moderne devrait rendre hommage aux entrepreneurs ruinés, comme on honore les soldats morts au combat, peut-être pas avec autant de cérémonie, mais en suivant exactement la même logique (l’entrepreneur est toujours vivant, quoique sans doute brisé moralement et stigmatisé socialement, en particulier s’il vit au Japon). Car un soldat qui a échoué, qu’il soit mort ou vivant (à moins qu’il ne se soit comporté comme un lâche), cela n’existe pas; de même qu’un entrepreneur ou qu’un chercheur scientifique qui a échoué, ni non plus qu’un bonimenteur à succès, un prétendu philosophe, un commentateur, un expert-conseil, un lobbyiste ou un professeur d’école de commerce qui ne prend pas de risques personnels. (Désolé.)

( ... ) La solution – serait que l’on établisse une fête nationale de l’entrepreneur, avec le message suivant: La plupart d’entre vous échoueront, humiliés, appauvris, mais nous vous savons gré des risques que vous prenez et des sacrifices que vous faites pour l’amour de la croissance économique de la planète et pour tirer les autres de la pauvreté. Vous êtes à l’origine de notre antifragilité. La nation vous en remercie. » [17].

3.2.7. Lien social et transactions commerciales:

« Et je dois signaler que c’est cela, en réalité, qui m’a conduit à cette idée d’antifragilité dans la vie, et à la dichotomie entre le naturel et l’aliénation du non naturel. Le commerce est naturel – amusant, excitant, vivant et naturel – ; la carrière universitaire, telle qu’on la conçoit aujourd’hui dans le monde anglo-saxon, n’a aucune de ces qualités. Mais les universitaires anglo-américains (en particulier dans le domaine des sciences sociales) semblent se méfier les uns des autres; leur vie est faite d’obsessions mesquines, d’envie, de haines glaciales, la moindre rebuffade se transformant en rancune, qui se fossilise avec le temps dans la solitude d’un rapport avec un écran d’ordinateur et l’immutabilité de leur environnement. Sans parler d’un degré de jalousie que je n’ai presque jamais constaté dans le monde des affaires... D’après mon expérience personnelle, l’argent et les transactions purifient les rapports; les idées et les questions abstraites telles que la « reconnaissance» et le « mérite» les pervertissent en créant une ambiance de rivalité permanente.» [18]

3.2.8. Fonction des croyances, des convictions

« Quand on se penche sur la religion, et dans une certaine mesure sur les superstitions ancestrales, on devrait considérer l’objectif qu’elles servent au lieu de se concentrer sur la notion de croyance, croyance épistémique dans son acception scientifique stricte. Dans le domaine scientifique la croyance est la croyance au sens littéral, elle est juste ou fausse, jamais métaphorique. Dans la vraie vie, la croyance est un instrument pour faire des choses, jamais le produit final. C’est la même chose que la vision : vos yeux ont pour but de vous orienter de la meilleure manière possible, et de vous tirer d’affaire quand c’est nécessaire, ou de vous aider à repérer une proie de loin. Vos yeux ne sont pas des détecteurs destinés à percevoir le spectre électromagnétique de la réalité. Leur description de poste ne mentionne pas qu’ils doivent produire la représentation scientifique la plus exacte de la réalité, plutôt la plus utile à la survie. (...) J’ai montré qu’il est impossible de survivre si l’on n’avait pas une représentation exagérée très irréaliste de certains risques de queue. (...) La survie est ce qu’il y a de plus important, puis la vérité, la compréhension et la science » [19]

« a)   Juger les gens en fonction de leurs croyances n’est pas scientifique;

  b)   « La rationalité » d’une croyance n’existe pas, la rationalité d’une action si;

  c)   La rationalité d’une action ne peut être jugée qu’en fonction de tendances évolutionnaires » [20]

4.  Remarques critiques

4.1. La critique de la pseudo-rationalité

La critique de la pseudo-rationalité restreinte à des projections à partir de statistiques, incapable à tenir compte des effets de rétroaction, présomptueuse dans sa représentation des événements futurs, est certes nécessaire, mais Taleb n’est-il pas amené à cautionner ce qu’il critique, par son soutien sans faille à l’économie néo-libérale et aux exigences de la concurrence entre entreprises?

4.1.1. Les fragilistas: une cible polémique libertarienne confuse qui rate la critique de la pseudo-rationalité

La polémique contre les fragilistas n’est pas seulement une polémique contre des personnes qui seraient aveuglées par une prétention de pouvoir maîtriser rationnellement l’avenir, elle est dirigée contre toute tentative, au nom de principes, de passer par les institutions, par des décisions politiques, juridiques, pour diminuer la souffrance et le mal-être. Taleb effectue cette extension en associant étroitement la prétention de prévision et les maux dus à la iatrogénèse.

Si la flânerie rationnelle proposée par Taleb signifie que l’on est toujours prêt à des recadrages, à la prise en compte d’un élément novateur et perturbateur qui conduit à imaginer de nouveaux modèles, on peut certes y souscrire. Mais viendra bien le moment réflexif où il s’agira de comparer la pertinence des modèles, leur pouvoir d’éclairage et leur limite.

La virulence de la polémique contre les fragilistas, qui désignent tant les positivistes peu critiques que les politiciens soucieux d’inscrire dans la réalité la résistance à l’injustice selon une forme institutionnelle, s’explique par la force de l’attachement à la thèse de l’auto-régulation du marché et des bienfaits de la concurrence. Cette thèse scandée tout au long des ouvrages de Taleb paraît pourtant bien être typique d’une thèse immunisée contre la critique. L’opposition sous-jacente à la polémique menée par Taleb, n’est pas celle entre l’arrogance des prévisionnistes et la modestie sceptique et prudente, mais bien celle entre un dogme des effets bénéfiques à long terme de la concurrence et de la dérégulation, et de toute mesure visant à institutionnaliser la solidarité. Le travail de simplification opéré par Taleb, consiste à faire passer tous les constructeurs d’une politique économique, sociale, éducative par des décisions concertées contre les maux que sont l’indigence, l’inculture ou l’isolement, comme des gens qui se prévalent d’un savoir dont ils ne disposent pas et qui font des dégâts [21] [22].

D a n s son petit lexique personnel, Taleb évoque la flânerie rationnelle et définit l’optionalité rat io n n e ll e comme le « fait de ne pas être enfermé dans un programme donné, de sorte que l’on peut changer d’avis à mesure que l’on avance, en fonction des découvertes que l’on fait ou des informations nouvelles que l’on obtient. » Manifestement le libertarien se cramponne fermement à son cadre de la main invisible.

4.1.2. Rationalité ouverte et gestion néolibérale

U n des grands arguments de Taleb contre la pseudo-rationalité des fragilistas consiste en ce qu’elle se base sur des séries de chiffres pour en induire des stratégies et ne sait pas envisager les rétro- réa cti o n s . Mais les pires affaissements de la rationalité en pseudo-rationalité instrumentale, en mesures et comparaisons aussi précises que déconnectées de ce qu’elles décrivent et de ce qu’elles devraient éclairer, ne proviennent pas des universités comme Taleb le laisse penser, mais du monde de l’entreprise comme réponse aux pressions de la concurrence. Ces méthodes ont ensuite été introduites dans le secteur public, comme instrument de contrôle et de limitation, en vue d’une privatisation des secteurs promis à une grande rentabilité.

Les méthodes de New Public Management introduites dans la gestion publique sous la pression des défenseurs de la libre-concurrence et de la déréglementation sont un exemple typique d’utilisation aberrante des statistiques et de gestion par le calcul coupée d’une réflexion de fond sur les méfaits, tant au niveau relationnel qu’au niveau culturel, de ce genre de rationalisation. C’est de là que vient la pratique des dénis des effets rétroactifs de certaines économies dans le secteur social, éducatif ou sanitaire. De plus les adeptes du capitalisme postfordiste néolibéraux sont initiateurs d’une décomposition en prestations ou en tâches du travail qui efface du tableau la globalité de la situation et les effets néfastes que cela entraîne. Toute l’évaluation est faite pour rester aveugle aux dommages collatéraux. Le benchmarking conduit à une gestion de la politique éducative, appelée pilotage, qui esquive les débats de principe sur les orientations et qui ne rend pas compte de ses présupposés, ni de ses finalités. La rationalité ouverte de Popper est cependant censée ouvrir un dialogue, permettre une confrontation des modèles et des hypothèses et non un alignement aveugle à des chiffres.

4. 2. La stratégie d’antifragilité de l’entreprise et l’éthique de ne pas nuire à autrui

On peut considérer que les stratégies de diversification, d’externalisation, de délocalisation et de lean-management, pratiquées par les entreprises actuellement comme condition de survie, sont des manières de rendre l’entreprise antifragile: on ne met pas tous les œufs dans le même panier, on ch e rc he l’optionalité, sans cesse aux aguets pour l’occasion favorable, on casse les chaînes de répercussion qui pourraient avoir des effets néfastes, on fait du stress une vertu. Sennet, le sociologue américain [23], a bien montré que cette conception de la flexibilité a des conséquences h u m a i n es désastreuses, par exemple sur la temporalité: l’absence de mémoire, de continuité, menace la possibilité de comprendre, coupe court à toute reconnaissance, fait obstacle à un regard rétrospectif responsable. L’externalisation a la même fonction de dégager la responsabilité de l’entreprise par rapport aux plus fragiles qui chutent dans la lutte de la concurrence. Un sous-traitant qui coule n’est pas de la responsabilité de l’entreprise.

Taleb au nom de son principe éthique se soucie-t-il des effets néfastes de la concurrence? A p pa re mment oui, dans la mesure où, il recommande, afin que les rapports de concurrence ne soient pas néfastes, de s’opposer au gigantisme, de garder à l’économie des proportions modestes, de rester au niveau local, d’ancrer l’économie dans un territoire qui ne soit pas au-delà des aptitudes humaines.

Mais le gigantisme des multinationales n’a pas été produit par les politiciens, c’est une évolution engendrée par la dynamique de l’économie capitaliste. Depuis le capitalisme postfordiste la tendance à la concentration du capital s’est renforcée tout en grignotant les compétences du domaine politique. Que propose Taleb, pour maintenir les échanges, la production, au niveau local? Pour les y ramener sans directives politiques ? Serait-ce une évolution spontanée?

4. 3. A l’inverse de la modestie sceptique, l’idéologie entrepreneuriale néolibérale comme éloge de la maîtrise

L’exa ce rbat io n de la concurrence, a été accompagnée d’un management de la subjectivité, qui invite à la prétention de maîtrise, au déni de ses faiblesses, des pannes et des erreurs, au dépassement

incessant de soi, à être un battant jusqu’à la cécité morale entre collègues. La modestie sceptique, l’attention à la situation présente, ne sont pas dans le menu; tout l’être est tendu vers l’atteinte de nouveaux objectifs. Mais Taleb l’a bien précisé, l’antifragilité concerne surtout le système, qui demanderait au contraire à chacun d’avoir une certaine cécité à l’égard de ses limites et des risques d’échec.

4.4. Les divergences avec l’humanisme

4.4.1. L’affaissement dans le domaine des faits et l’hétéronomie.

En soulignant que pour agir efficacement l’entrepreneur doit avoir une certaine cécité à l’égard de sa fragilité, Taleb coupe l’action de la compréhension de soi. Le véritable sens de l’action entrepreneuriale se passe à son insu et contre son gré. L’entrepreneur est donc en situation d’hétéronomie complète. Taleb revendique d’ailleurs une approche non narrative de la vie. Selon ses termes l’action n’a pas besoin de narration pour être juste. Les actions valent en elles-mêmes d’après leur impact dans le monde des faits. C’est le principe-même de la liberté intérieure, comme interprétation de la vie qui est rejeté par Taleb.

Le sens de l’action personnelle est mesuré à sa contribution à l’auto-régulation évolutionnaire du système global et non à la responsabilité individuelle de répondre à une exigence. La rupture avec l’humanisme est flagrante.

O n peut constater un renversement dialectique : de l’attachement proclamé aux libertés individuelles on passe au respect des lois du système, mais tout n’est pas perdu, puisque l’espoir est que le système promeuve le règne des libertés personnelles.

4.4.2. L’abandon de la quête de vérité

Pour Taleb, le critère de validité d’une parole est d’une part en ce qu’on peut en constater dans ses effets, d’autre part dans le fait qu’elle est appliquée par celui qui la profère. Lié au premier, le second a pour effet d’aplatir sur le domaine objectif ce qui devrait être la relation entre la croyance et l’existence. A l’encontre de ce qu’affirme Taleb, la concordance entre le langage et l’existence se joue d’une part dans le critère de la cohérence subjective ou de la contradiction qui suscite un renversement comique, d’autre part dans le secret de l’intériorité.

Cet affaissement des significations dans les faits se perçoit aussi dans sa manière d’appréhender les croyances religieuses auxquelles il n’attribue qu’une fonction d’aide à la survie, mais auxquelles il ôte toute valeur de vérité, au profit de l’utilité. Or si les croyances ne peuvent être l’objet de justification objective, si la métaphysique rationnelle est impossible, il n’en reste pas moins, que les croyances ne sont ni simplement arbitraires, ni simplement utiles: elles peuvent avoir la prétention d’éclairer avec pertinence l’existence humaine, de débusquer des contradictions, des hétéronomies, des renversements dialectiques, diverses catastrophes ou affaissements dans la confusion.

- Taleb voit les échecs subis dans l’action sur le monde comme des occasions de progresser, de trouver
d e nouvelles solutions. Mais Taleb ne donne aucune importance à la quête de compréhension de soi,
de vérité existentielle. Contribuer au bien de l’humanité en créant une entreprise [24], entrer dans la course, recevoir une médaille de reconnaissance si l’on est perdant, sa réflexion s’arrête là. En ce sens, sa référence à Bayle ne se justifie pas. Car si Bayle oppose la raison à l’autorité pour toutes les questions de connaissance et s’il considère la raison impuissante dans les questions ultimes, métaphysiques et religieuses, il exhorte néanmoins chacun à chercher le plus sincèrement et consciencieusement la vérité. Cette quête n’apparaît pas chez Taleb.

4.4.3. L’action au détriment de la communication : le dénigrement de l’institution scolaire

Le discours de Taleb est empli de remarques dénigrantes sur le monde universitaire tant au niveau de la recherche que de la transmission. Si certes on peut jeter un regard critique sur une certaine organisation actuelle de l’université qui se met à accepter des critères d’évaluations issues du marché, bibliométrie et retombées immédiates dans les innovations rentables, on peut néanmoins être surpris que Taleb passe à côté de toute véritable réflexion sur les conditions de la recherche scientifique et l’importance de la transmission littéraire. Comme Ron Paul, Taleb tire à boulet rouges contre toute politique éducative définie au niveau de l’Etat, contre tout titularisé de la recherche et de l’enseignement universitaire, contre l’idée que l’enseignement appartient au service public. A ses yeux, l’école ne peut rien transmettre d’essentiel. Derrière cette conception, il y a toute une conception de la communication et du lien social. Qu’y a-t-il d’important à transmettre qui ne soit pas des savoir-faire plus ou moins élaborés et finalement dont la découverte peut être faite dans un garage? Héritier de Hayek, Taleb pense que les règles de conduites sont sélectionnées par un processus évolutif impersonnel. Il est illusoire de croire que l’on peut transmettre des contenus essentiels, seul le contact avec la réalité est capable de nous faire découvrir ce qui importe ou ce qui est faux. Rien ne se passe d’essentiel au niveau de la communication.

5. L’éthique de Taleb

Taleb tout en reprenant les thèses de Hayek les complète par l’idée que l’on ne doit pas se rendre antifragile aux dépens d’autrui, on ne saurait viser des avantages sans accepter de partager les nuisances induites par l’action.

Taleb se réfère souvent au code de Hammourabi. Cette référence est en partie due à sa conception évolutionniste, comme quoi des règles de comportement favorables à la survie du groupe se sont imposées dans l’histoire, et que la tradition véhicule, en tant qu’elle a su perdurer, une certaine pertinence que l’on ne saurait mettre inconsidérément en cause. En l’occurrence, il s’agit d’une justice qui applique la loi du talion, et qui concerne les réparations financières ou physiques suite à un dommage subi. Sa manière de développer le thème de la justice est centrée sur le problème d’un réta b li sse m e nt d’un certain équilibre par la réparation des torts selon un principe d’équivalence. Cette orientation centre l’attention sur la dimension objective de la relation à la justice mais elle l a iss e en suspens la dimension subjective. Taleb cherche une stratégie pour limiter au niveau des faits les dommages de l’action et particulièrement des risques pris dans l’action. Il s’agit plus d’une prévention de dommages au niveau des faits que d’un souci de répondre à l’exigence de justice. Les exe m p l es qu’il prend concernent surtout le vol ou la vie. Dans l’exemple cité et tiré du code Hammourabi, où l’architecte, dont la construction s’écroule et tue le propriétaire, est condamné à mort, le principe de faire payer les dommages est une gestion des risques de dommage par la peur de ne pas survivre plutôt que par la réponse à l’exigence de justice. « Prendre des risques en risquant sa peau », appliqué au monde économique reste insuffisant pour y inscrire une référence aux respects des personnes impliquées.

Mais précisément, l’humanisme ne se caractérise-t-il pas par le fait qu’il faut se préoccuper des significations, et qu’il importe que la justice témoigne d’un souci de renvoyer chacun à la différence instituée entre le règne de la violence et celui du respect des personnes ? Si on admet l’idée que dans nos actions et nos comportements, nous sommes engagés doublement, d’une part quant aux conséquences de l’action, d’autre part au niveau des significations, le partage des conséquences négatives proposé par Taleb reste bien en deçà de ce que réclame comme soin et attention la présence d’autrui. Comme l’a montré Pierre-André Stucki, pour sortir du dualisme entre une loi contraignante et une liberté individuelle arbitraire, il faut considérer le niveau de la communication qui présuppose le respect de l’autre.

Ce rtes tant Hayek que Taleb évoquent un droit des plus démunis à recevoir une aide [25]. Mais cette aide, contre la famine et l’extrême dénuement, ne doit en aucun cas recouvrir un principe de redistribution des richesses.[26]

Dans la mouvance libertarienne, l’anthropologie accentue la définition de l’individu autour de son droit à mener sa quête de bonheur librement. Le rôle de l’Etat est donc de garantir les conditions de cette quête et de ses résultats. Les deux idées centrales de Hayek, empêcher la coercition, déjouer le piège de la raison planificatrice, mettent au second plan la résistance contre l’atteinte aux principes de la Déclaration des Droits de l’Homme. Ainsi qu’en témoigne par exemple la campagne électorale de Ron Paul cité en exergue par Taleb [27].


Taleb et l’imprévisible

La philosophie libertarienne ne conçoit pas de lien intrinsèque entre la liberté et la fraternité, sa conception de la réciprocité reste rudimentaire.

5 . 1 . Ethique et monde du travail

Dejours dans son analyse de la souffrance au travail suscitée par le déni des pannes, par un système de prescriptions et de contrôle déconnecté du travail réel et par la mise en concurrence des travailleurs, a bien mis en évidence la banalisation du mal que ces nouvelles méthodes de travail instaurent à l’époque du capitalisme postfordiste, à l’époque de la concurrence exacerbée et de la puissance des actionnaires. Une sorte de déchéance morale croit en même temps que l’insensibilité au sort d’autrui, broyé par la compétition. Mais il a aussi mis en évidence que le surgissement de l’attitude éthique nécessite une décision et une responsabilité dans l’interprétation de la situation, nécessite que l’on se reconnaisse partie prenante de la situation, sommé par elle, et au moins responsable de la désigner comme injuste. L’entrée dans le monde moral surgit quand je reconnais qu’autrui met en question ma force et quand je cesse de le voir simplement comme un concurrent.

5.1. Manger de sa propre cuisine? Une éthique de la responsabilité?

« Vous exprimez votre opinion; elle est susceptible de faire du tort à autrui (qui s’y fie), cependant, vous n’avez pas à répondre de vos propos. Est-ce juste ? » [28]

Les attaques systématiques contre les budgets santé, assistance sociale, éducation, pour ne citer que cela, ont eu ces dernières décennies des conséquences assez importantes dans la vie quotidienne des plus fragiles et des conséquences non négligeables dans la transmission de la culture.

Manger de sa propre cuisine, certes, mais comment Nassim Taleb subit-il lui-même l’effet des options du néo-libéralisme, les conséquences de la concurrentialité exacerbée, du lean-management, de la flexibilisation, de la délocalisation, de la diversification, de l’externalisation, de la réduction du droit du travail au profit des contrats, de la réduction des budgets de la santé et de la protection sociale? ? N’est-il pas l’exemple type d’une parole tonitruante mais irresponsable?

Comme spécialiste de l’économie Taleb a été souvent consulté dans le cadre de la campagne des élections américaines. Tout en affirmant ne pas vouloir voter pour Trump, (son candidat était probablement Rand Paul) il affirmait à la télévision qu’entre la candidate démocrate Hilary Clinton et Trump, il choisirait Trump. Il justifiait son choix par le fait qu’il ne fallait pas s’arrêter aux paroles de Trump, mais considérer l’efficacité de son action. A son avis Trump incarne l’intelligence du monde des affaires. Taleb ne saisit pas l’importance de mettre en relation le travail politique avec des principes fondamentaux; il abstrait les institutions des enjeux de la communication [29].

« Je crois qu’obliger les chercheurs à « manger leur propre cuisine» chaque fois que c’est possible peut permettre de résoudre un grave problème de la science. Prenez cette heuristique simple: est­‐- ce que le chercheur scientifique dont les idées sont applicables à la vie réelle les applique à sa vie quotidienne? Si oui, prenez-le au sérieux. Sinon, ne faites pas attention à lui. (Si le bonhomme fait des mathématiques pures, de la théologie, ou qu’il enseigne la poésie, aucun problème. Mais s’il fait quelque chose qui est censé être applicable, alors, carton rouge.) » [30]

6. Remarque sur l’individualisme des libertariens

Le rapport des libertariens à la modernité est double: élogieux en ce que la modernité a affranchi l’individu de la soumission au clan, au groupe, à l’autorité aveugle, en ce qu’elle a permis l’instauration d’un système politico-social où chacun est libre de définir le bonheur, d’agir pour en entamer la quête, où chacun a la sécurité de rester propriétaire de soi et des fruits de son travail. -Taleb souligne même que le droit à l’intimité en est le principal acquis. Les libertariens se réfèrent plutôt à Hume qu’à Locke. Leur rapport à la modernité est par contre critique en ce qu’elle aurait dérivé vers une prétention de la raison à pouvoir par la raison connaître les lois, non seulement de la réalité physique, mais de la totalité sociale, à pouvoir conduire l’histoire à partir d’une représentation rationnelle de ce que devrait être la justice sociale et les rapports interhumains.

On trouve effectivement déjà chez Popper une critique de l’historicisme qui s’appuie sur l’idée que la totalité historico -sociale est toujours une abstraction, qui efface la réalité complexe des existences individuelles. Contestant en effet la notion d’une histoire qui aurait objectivement un sens Popper écrit : « Mais ne peut-il vraiment y avoir une histoire de l’humanité? A cette question, tout humaniste et tout chrétien doit, me semble-t-il, répondre par la négative, car ce devrait être l’histoire de tous les hommes, de leurs espoirs, de leurs luttes et de leurs souffrances, qui ne peut manifestement pas être écrite. » [31]

Cependant la théorie des trois mondes de Popper, fait de la subjectivité un ensemble de faits affectifs, d’événements intérieurs, qui n’ont pas à rendre compte de leur cohérence, de leur pertinence ni de leur clarté dans le dialogue; ceci éloigne Popper, et le courant de pensée qui s’en réclame, de la philosophie de l’existence.

7 . Quelques renversements surprises

Co m m e Hayek, Taleb polémique contre les créateurs d’enfer à partir de la bonne intention de sauver le monde. On ne peut être insensible à cette critique. Mais entre sauver le monde et s’adapter à ses lois, il y a une tierce solution comme le disait Dürrenmatt, lui tenir tête. Avec distance, avec résolution.

La compensation proposée  par Taleb aux  perdants laisse songeur [32].

L’amour de la croissance >économique de la planète est-elle la justification consistante d’une vie consacrée à la compétition? Les humiliés et rejetés du système économique se trouveront-ils consolés par les cérémonies de reconnaissance? Les cérémonies de reconnaissance permettront-elles de jouer le jeu de la compétition et de l’écrasement du plus faible avec bonne conscience? Qui est cette instance qui transforme un échec en sacrifice salutaire? L’individualiste libertarien Taleb se met à proposer une dépendance des perdants à la reconnaissance sociale des gagnants provisoires. Ecrasés pour le bien de la fourmilière. Taleb réintroduit ce que son évolutionnisme le conduit à nier : la différence entre les faits et leur signification. Il laisse revenir par la fenêtre la problématique de la reconnaissance qu’il avait mise à la porte, croyant ne pouvoir compter que sur les rapports purs et simples des transactions commerciales.

R eve n d i q u a nt une conscience de l’incertitude Taleb nous appelle à faire confiance à l’évolution et à la main invisible. Revendiquant la responsabilité dans la communication, Taleb rabat les rapports humains sur des transactions objectives. Défenseur de la liberté individuelle et de la sphère intime, il invite à se réjouir de se sacrifier pour la fourmilière, défenseur d’une certaine attitude critique, il invite à ne pas mettre en cause la tradition qui a fait ses preuves par le simple fait de durer. Tant de catastrophes à méditer.

8. Conclusion

La présentation de Marc-André Freudiger a montré comme la prise en compte de l’imprévisible est au cœur de la foi chrétienne et comment elle conduit à une attention à l’ici et au maintenant, à l’ouverture à la rencontre d’autrui, à la sollicitude envers autrui.

Le mérite prêté à Taleb selon Marc-André serait d’aller à contre-courant de toutes les attitudes actuelles de maîtrise de l’avenir et de toutes les revendications d’avoir droit à un vie protégée de tous les dangers et de toutes les surprises : ce que Taleb appelle la touristification.

Marc-André a relevé qu’un point important d’opposition entre Paul et Taleb est que ce dernier « ne prend aucunement en considération la distinction entre l’intérieur et l’extérieur, ni d’ailleurs toute la problématique de la liberté » .

En continuité de cette critique, j’espère avoir montré que cette absence conduit aussi à une rupture avec l’humanisme. Une pensée qui se donnait comme une critique du pouvoir de la raison à produire des explications totalisantes finit par créer un renversement imprévu : la confiance dans l’évolution et les ordres spontanés devient une thèse à l’abri de la critique. Plutôt qu’un discours critique des idéologies actuelles, les œuvres de Taleb m’ont parues en bonne conformité de l’idéologie néo- li bé ra l e .

La confrontation aux écrits de Taleb, relus par Marc-André, nous a poussés à approfondir les conséquences de la reconnaissance de la limitation de la raison et de la présence de l’imprévisible au cœur de nos existences. Merci donc à Marc-André de nous avoir emmené dans cette lecture.

[1](retour) Jouer sa peau, p. 171.

[2](retour) N. N. Taleb, Antifragile, Les bienfaits du désordre, Les belles lettres, 2020, p.15

[3](retour) N.N. Taleb, Jouer sa peau, p. 288

[4](retour) Prix Nobel d'économie en 1974, Friedrich von Hayek, auteur de Droit, Législation et liberté, inspirateur du courant néo-libéral ou libertarien.

[5](retour) Ron Paul, père de Rand Paul, inspirateur du Tea Party.

[6](retour) Jouer sa peau est paru en 2017. En 2016, Ron Paul soutenait aux primaires son fils Rand Paul, également libertarien, et actuellement soutien actif de Trump. Hier, 26 janvier il a redit qu’il n’y avait aucun lien entre l’insurrection du Capitole et le discours de Trump, et que le procès en destitution est complètement illégal. Comme conception de la parole responsable, il y a mieux.

[7](retour) Le programme politique de Ron Paul en 2012 comportait : ." Enfin, élu, il abolira la banque centrale et éradiquera la dette publique de façon radicale : 1 000 milliards de dollars dès la première année ! Comment? En "éliminant les coûts de cinq administrations publiques inutiles : l'énergie, le logement, le commerce, l'intérieur et l'éducation".

[8](retour) N . N . Taleb, Antifragile, p. 96

[9](retour) Cette réparation des torts se fait de manière non institutionnelle sinon par la fête de l’entrepreneur, cf. ci-dessous

[10](retour) Ibid. p.97

[11](retour) Ibid. p.97

[12](retour) Ibid. p. 97-98

[13](retour) Ibid. p.97

[14](retour) Hayek a parlé d’utopie libérale pour désigner l’avènement progressif par émergence d’une société, complètement laissée au principe de la concurrence et de l’initiative individuelle où les transactions seraient telles que même la monnaie serait inutile, où les transactions commerciales seraient l’instauration d’un état de paix.

[15](retour) Ibid. p.99

[16](retour) Cette notion n’est pas développée par Taleb, sinon pour montrer que sous sa forme institutionnalisée par la social-démocratie, elle est contre-productive. Hayek concevait le devoir de solidarité avec les plus démunis, par l’ i d é e d’un revenu minimum ou niveau de ressource garanti. Ron Paul, dans son programme politique, ne semble pas avoir une sensibilité développée des souffrances de certaines populations défavorisées, cf. note.27. p . 13

[17](retour) Antifragile, p.102-103

[18](retour) Antifragile, p. 29

[19](retour) N. N. Taleb, Jouer sa peau, p. 302-303

[20](retour) Ibis. P 306

[21](retour) Les libertariens ont tenu à analyser la crise de 2007‐2008 comme le résultat de la politique monétaire de l’Etat, et non des effets de la dérégulation et de la dynamique du marché. L’opposition à la politique d’Obama, le slogan fermer la FED étaient au centre de la rhétorique du parti libertarien.

La puissance prise par la finance, la course en avant et la création de bulles, la puissance des actionnaires par rapport aux dirigeants d’entreprises, est-elle séparable de la dérégulation effectuée dans le postfordisme ? Serge Audier dans ouvrage consacré aux Néo-libéralismes, en doute. Le débat critique sur les stratégies de la FED doit certes avoir lieu, mais sans le cadrage immunisé de la main invisible.

[22](retour) Serge Audier, Néo-libéralismes, une archéologie intellectuelle, 2012, p. 591-592 L’auteur présente de manière critique les analyses de la crise faite par Antonio Martino, (adepte de Friedmann, pilier de la droite berlusconnienne, ancien président de la Société du Mont-Pèlerin), celle de Salin, plus proche de Hayek, proche de Ron Paul et Rand Paul, du Tea Party, analyse qui se réduit à contester les garanties données par le gouvernement aux grandes institutions du crédit, la création d’entités paraétatiques comme Fannie Mae et Freddie Mac, mais analyse dont la caractéristique principale est d’opérer un déni de la détresse sociale impulsée par les programmes néolibéraux depuis Reagan.

[23](retour) Le travail sans qualité. Les conséquences humaines de la flexibilité de Richard Sennett, Paris, Albin Michel, 2000, p. 223. J’avais exposé ce point dans mon exposé à Crêt-Bérard sur l’aliénation et les pathologies de la communication dans le monde du travail.

[24](retour) « Enfin quand des jeunes gens qui veulent « aider les autres » viennent me demander ce qu’ils doivent faire
pour faire reculer la pauvreté et sauver le monde, et semblables nobles aspirations au niveau macro, je leur suggère trois choses: N’affichez jamais de principes vertueux, ne vous lancez jamais dans des rentes de situation, vous devez créer une entreprise. Prenez des risques, créez une entreprise. » Jouer sa peau. P269.

[25](retour) Taleb rend hommage à Ralph Nader, comme figure de courage à part Ron Paul, et en parle comme du défenseur des consommateurs. L’engagement de Nader, son programme en faveur des démunis et de l’assurance maladie obligatoire, d’une réglementation de l’économie en fonction de critères écologiques, le mettrait plutôt du côté des politiciens critiqués par Hayek...Nader a une conception de la responsabilité politique de lutte contre le mal, l’injustice et le mensonge, dont l’aboutissement est l’amélioration des lois.

[26](retour) Certains programmes libertariens proposent une allocation unique, laissant à chacun la responsabilité de la faire fructifier, allocation rendue possible par la suppression des administrations publiques...Hayek voyait une sorte de revenu minimal tout en s’opposant à la conception de Rawls. Certains libertariens la limite à des actions caritatives, laissées à l’appréciation personnelle.

[27](retour) Comme en témoignent par exemple les programmes électoraux des libertariens. Article tiré du Monde, 5 janvier 2012, www. lemonde. fr le succès inattendu du libertarien Ron Paul

« Ce n'est pas pour rien que Ron Paul, 76 ans, candidat pour la deuxième fois à l'investiture républicaine, se désigne comme "libertarien". Partisan de cette philosophie poussant à l'extrême l'aspiration à ramener l'Etat à la portion congrue, il joue devant ses auditoires sur trois niveaux : la liberté individuelle, qui prime sur toute autre valeur et, plus que tout, sur les droits collectifs ; la peur de voir ses droits bafoués par un Etat-Moloch, toujours plus puissant et insidieux ; un isolationnisme qu'il juge plus conforme à la Constitution, moins onéreux en vies et en argent et plus avantageux pour les peuples impunément soumis par l'Amérique à travers l'histoire.

A Des Moines, capitale de l'Iowa, son équipe de campagne a diffusé une brochure très explicite. Points 1 et 2 : la défense nationale et les guerres au Proche-Orient. "Elles coûtent 720 millions de dollars par jour. Ron Paul sait que le meilleur moyen de soutenir l'Amérique et nos troupes est de les rapatrier. Les guerres ne bénéficient qu'aux profiteurs de guerre." Il est aussi partisan de l'annulation des "aides extérieures" permanentes aux Etats, y compris à Israël.

Parallèlement, il promet de chasser les immigrés illégaux. La santé ? "Le gouvernement fédéral ne devrait pas s'en occuper." Enfin, élu, il abolira la banque centrale et éradiquera la dette publique de façon radicale : 1 000 milliards de dollars dès la première année ! Comment? En "éliminant les coûts de cinq administrations publiques inutiles : l'énergie, le logement, le commerce, l'intérieur et l'éducation".

" La liberté est un risque"

Ces conceptions extrêmes ont parfois des conséquences inattendues. Le 21 septembre 2011, lors d'un débat républicain sur CNN, interrogé pour savoir s'il refuserait de soigner un homme gravement blessé qui n'a pas contracté d'assurance-maladie (M. Paul est médecin), il tergiverse. "La liberté est un risque, chaque individu est responsable." Quelques-uns de ses partisans lancent alors : "qu'il crève", ce blessé, puisque tel a été son choix. De même M. Paul a-t-il critiqué les lois antiségrégationnistes adoptées dans les années 1960 : aucun patron de restaurant ne devrait se voir imposer la présence d'un client dont il ne veut pas, dit-il. La propriété privée l'emporte sur toute autre considération.

[28](retour) Antifragile p. 463-464

[29](retour) https://www.cnbc.com/video/2016/11/03/nassim-taleb-trump-wont-do-anything-apocolyptic.html

[30](retour) Antifragile, p.478-479

[31](retour) K. Popper, La société ouverte et ses ennemis, t.2 Ed, du Seui, 1979 p.180

[32](retour) La plupart d’entre vous échoueront, humiliés, appauvris, mais nous vous savons gré des risques que vous prenez et des sacrifices que vous faites pour l’amour de la croissance économique de la planète et pour tirer les autres de la pauvreté. Vous êtes à l’origine de notre antifragilité. La nation vous en remercie . ». Antifragile, p.102-103

[33](retour) Marc-André Freudiger, A propos de l’imprévisible, séminaire de philosophie et théologie de Crêt-Bérard, p.11.