Les Nouvelles technologies

remède ou maladie dans la communication interpersonnelle et dans la relation à soi ?

  1. LE PLAN :
  2. MICHEL DESMURGET, La fabrique du crétin digital.
  3. Sherry Turkle : brève biographie et bibliographie. Jean M. Twenge
  4. LA PREFACE
  5. INTRODUCTION
  6. 12 THEMATIQUES :
    1. Toujours connectés.
    2. L’identité réelle et l’identité virtuelle : des limites floues
    3. Le paradoxe : toujours plus connectés, plus ensemble, plus reliés mais toujours plus seuls et tournés sur soi.
    4. Les lieux deviennt des non-lieux.
    5. Les angoisse, les troubles et la solitude.
    6. Ne plus être vraiment dans le présent, avec qui on est ; donc être en partie absent. Diminution de l’engagement mais augmentation de l’individualisme.
    7. Le multitâches. 
    8. Les troubles de l’image de soi et la dépréciation de l’estime de soi.
    9. Autre effet paradoxal : le besoin d’autonomie et la tendance à l’immaturité. L’appréhension des conversations.
    10.  Plus la peine de passer un coup de fil.
    11. Tous débordés-
    12. Les risques. La vie privée est politique. 
  7.         Conclusion

 

Les Nouvelles technologies

 Le thème que nous abordons cette année, la santé et la maladie dans le monde actuel, peut être abordé sous plusieurs angles, angle purement physique mais également angle psychologique, existentiel et spirituel (même si nous savons que ces deux angles sont étroitement interdépendants).

Au début de ma réflexion, je me suis demandé si mon sujet était étroitement lié au thème général. Mais plus jeme suis mise à réfléchir à ce propos, plus le lien entre l’ utilisation des nouvelles technologies , des ordinateurs , des smartphones et le thème de la santé et de la pathologie m’est apparu fort . (Ce qui est sûr : le sujet n’est ni mineur, ni marginal… les smartphones sont partout !!).

Depuis 2007, il semble que notre monde a changé : avec les smartphones et les ordinateurs portables, la vie des individus occidentaux s’est radicalement modifiée : que ce soit chez eux, dans la rue ou au travail , beaucoup d’individus ne quittent presque plus ces appareils, par obligation ou volontairement. Autour de nous, ces objets semblent être rapidement devenus omniprésents, plus que ça n’a jamais été le cas pour aucune machine dans l’histoire.

Voici les questions que je me suis posées : dans quelle mesure ces appareils ont-ils modifié nos rythmes de vie ? Notre façon de communiquer avec les autres et même notre rapport avec nous-mêmes ? Sont-ils des aides précieuses, des compléments nécessaires aux exigences de la vie moderne ou, au contraire, des contraintes, des entraves, nuisant d’un côté à notre concentration, à la qualité de notre réflexion et, d’un autre côté, à la nature et à la qualité des liens interpersonnels ? Pourrait-on y voir des parasites ou des tentations permanentes, nous coupant du présent et d’une intimité silencieuse pourtant essentielle ? Telles seront les interrogations qui seront abordées dans cette présentation, sous l’éclairage des études empiriques poussées et des réflexions sérieuses de l’anthropologue et psychologue clinicienne Sherry Turkle, complétées brièvement par celles de Jean.M. Twenge, toutes deux chercheuses spécialistes depuis des décennies du rapport liant justement les hommes aux machines qu’ils ont inventées.

( Remarque :j’ exprime ma satisfaction de pouvoir  donner ici la parole à la fois à des autrices et aux sciences humaines qu’elles représentent)                                                              

INTRODUCTION

En guise de préambule, j’aimerais commencer par une mise en garde : tout ce qui va être dit à propos des comportements est le résultat de généralisations, donc de conclusions par définitions simplificatrices et en partie trompeuses, alors même que toutes les comportements sont le reflet des vécus individuels : chacun a sa manière propre d’utiliser son mobile et son ordinateur, en choisissant  +- librement son utilisation, heureusement. Mais les sciences humaines, la sociologie en particulier, cherche à mieux comprendre les tendances générales et les influences sociétales exercées par les contextes dans lesquels nous vivons, par les tendances sociales provenant notamment de l’économie. Cette optique généralisante est par ailleurs indispensable pour mieux saisir les phénomènes collectifs et sociaux. Et nous nous souvenons ici de ce que disait déjà Aristote : « Il n’y a de connaissance que du général, mais d’existence que du particulier. »

 Cela étant dit, nous pouvons observer qu’aujourd’hui, même dans la rue, on doit faire attention à ne pas écraser ou bousculer des gens complètement absorbés par leur téléphone. Quelle maladie ou au contraire quelle chance ces appareils offrent-ils dans nos existences modernes ?

Le sujet que j’aimerais vous présenter touche à la psychologie et à l’existentiel : il s’agit de mieux comprendre l’influence que ces nouvelles technologies ont sur nous, plus précisément sur le rapport que nous avons avec les autres et fondamentalement avec nous-mêmes. Car elles nous accompagnent presque partout, en permanence.

 Jamais encore dans l’histoire, semble-t-il, une machine n’a si rapidement et à ce point pénétré dans la vie des individus, modifié les comportements et le rapport avec le temps. Nous constatons que non seulement presque tout le monde possède un smartphone (mini ordinateur de poche aux mille fonctions, apparu et démocratisé dès 2007) mais, qu’en plus, chacun le porte presque en permanence avec soi. Même les récalcitrants du début ont fini par céder. Au début, nous voulions un simple téléphone, très pratique car individuel, transportable est toujours à notre disposition. Et nous nous sommes retrouvés avec une sorte de greffe, d’appendice, capable de 1000 fonctions utiles et attrayantes. Rares sont les conversations ou les soirées entre amis qui ne sont fréquemment interrompues par moultes appels ou textos, auxquels il faut urgemment répondre .                              

La première question qui se pose : ces appareils sont-ils une chance, dans notre vie, ou sont-ils au contraire néfastes et une source de problèmes ? Sont-ils une aide, un soutien face aux exigences du monde moderne … et dans ce sens contribuent-ils à notre équilibre, à notre santé ; ou au contraire la péjorent-ils ?

Dans cette présentation nous parlerons surtout des côtés négatifs, mais il est évident que les smartphones ou les ordinateurs nous rendent aussi, dans le contexte  contemporain, de nombreux services :à commencer pas leur première fonction, qui est de faciliter les contacts avec les autres, de leur parler, de communiquer des informations, d’écouter et d’être entendu. Ils constituent également un réservoir pour notre mémoire, une source d’informations immédiates presqu’infinie, un appareil de photo, un moyen de payement, et dernièrement un passeport sanitaire. Ils jouent également un rôle primordial dans la diffusion horizontale des informations, dans la création de mouvement populaires ou de résistance,des contre-pouvoirs, ce qui n’est pas peu de chose !  Cela fait dire à Turkle : « Avec mon smartphone, je me sens bien, je l’emporte au lit, il est presqu’une partie de mon corps, il fait pratiquement de moi une créature bionique ». Bref, on pourrait dire qu’il est devenu comme une partie de moi, un prolongement de ma personne, qu’il participe à rendre ma vie moins compliquée et donc qu’il contribue à améliorer ma santé mentale et même physique. Qui ne s’est pas senti totalement démuni, désécurisé le jour ou son smartphone a été oublié ou même perdu ?

Néanmoins, après avoir rappelé les effets bénéfiques de ces machines et pour que nous en restions les maîtres et non pas leurs esclaves, il faut accepter de prendre conscience des conséquences de leur utilisation et de leur face sombre. La chercheuse Turkle a examiné empiriquement, depuis l’origine, dans les années 70, les comportements réels des utilisateurs, en scientifique rigoureuse. Elle était au début très enthousiaste à propos de ces nouvelles technologies. Noius allons résumer une partie de ses observations, pour voir dans quelle mesure une mauvaise utilisation ne provoquerait pas des effets délétères, voire pathologique. En complément, je me référerai aussi aux observations de deux autres spécialistes : celles du Français Michel Desmurget  pour commencer; puis celles de la chercheuse et enseignante très reconnue outre-Atlantique: Jean Marie Twenge, qui a publié : La génération internet,  en2017 (étude portant  sur les adolescents nés entre 1995 et 2012, qui ont entre 10 et 27 ans : Igen,  qui ont tj vécu avec ces technologies). Sous-titre : « Comment les écrans rendent nos ados immatures et déprimés. »

§1            MICHEL DESMURGET, La fabrique du crétin digital.

J’aimerais tout d’abord mentionner brièvement les réflexions de Michel Desmurget, un docteur en neurosciences et directeur de recherches à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Il a publié en 2019 un livre intitulé :  « La fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos  enfants », 412 pages.(Le titre m’a laissée pantoise et rêveuse la première fois que je l’ai vu).

Qq citations : « La consommation du numérique sous toutes ses formes–smartphones, tablettes, télévision, etc.- par les nouvelles générations est astronomique. Dès deux ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4h45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6h45. En cumuls annuels, ces usages représentent autour de 1000 heures pour un élève de maternelle (= 3-5 ans ; soit davantage que le volume horaire d’une année scolaire), 1700 heures pour un écolier de cours moyen ( «= 11-15 ans ;  soit deux années scolaires) et 2400 heures pour un gymnasien ( soit 2,5 années scolaires).

 Contrairement à certaines idées reçues, cette profusion d’écrans est loin d’améliorer les aptitudes de nos enfants. Bien au contraire, elle a de lourdes conséquences : sur la santé(obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite), sur le comportement (agressivité, dépression, conduite à risques…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation…). Autant d’atteintes qui affectent fortement la réussite scolaire des jeunes. Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. »

§2            Sherry Turkle : brève biographie  et bibliographie

Elle est née en 1948, (74 ans). Elle est chercheuse en psychologie et en sociologie, docteur en sociologie diplômée de Harvard, spécialisée depuis les années 70 dans le rapport de l’individu aux nouvelles technologies. Actuellement professeur, elle dirige le département « Technologie et autonomie » du MIT (Massachusetts Institute of technology). C’est une voix très écoutée outre-Atlantique pour ses compétences en matière de nouvelles technologies et son livre Seuls ensemble a eu un énorme retentissement.

Publications  et présentation générale du livre:

1978(1982 français) la France freudienne. Comment les concepts de la psychanalyse ont influencé la conception de soi et le rapport avec autrui en France.

1984       (il y a 38 ans) The second self. (Le deuxième moi. Les enfants de l’ordinateur. Traduit en 1986)
Elle y développe l’idée que le moi des enfants, sur l’ordinateur, se sépare en deux  parties: d’un côté, le moi réel, l’identité vécue dans la réalité. Et de l’autre, un autre moi, une nouvelle forme d’identité construite : le moi virtuel, le moi fictif .                                                                                                            P.12

1995 Life on the screen  (écran)                                                                                Page 13

2011 Alone together, seuls ensemble. De plus en plus de technologie, de moins en moins de relations humaines (L’Echappée , 2015 traduction  française, 552 pages).

2015, Reclaiming conversation  (Reconquérir la conversation :  le pouvoir de la discussion à l’ère du numérique, Penguin, 2015.)

(Constat : T. a énormément concentré son regard sur les relations interpersonnelles.)

Alone together : aspects généraux.

Il s’agit d’un ensemble d’études empiriques, partant donc du terrain, faites pendant 15 ans (1996–2011), après avoir observé, discuté et interviewé des centaines de jeunes Américains de 5 à 25 ans. Le but de son recueil : mieux comprendre les effets contrastés des nouvelles technologies sur notre rapport avec les autres et sur la perception de notre intimité.                                                               p.47, a)  + p.376

Le titre : il faut remarquer d’emblée le paradoxe contenu dans le titre « Seuls ensemble », sous la forme d’un oxymore. Il résume la thèse de T : les nouvelles technologies et les habitudes de communication qu’elles ont provoquées aboutissent à des conséquences complexes et contradictoires. Beaucoup d’utilisateurs actuels témoignent, si on creuse le sujet, qu’ils éprouvent fondamentalement un sentiment accru et douloureux de solitude, de séparation d’avec leurs semblables. Mais par ailleurs, il se trouve qu’ils n’ont en même temps jamais été aussi fréquemment reliés aux autres : donc, jamais vraiment seuls, mais non plus jamais totalement en lien étroit et satisfaisant avec leur entourage. Les observations minutieuses et de longue durée de T, (corroborées d’ailleurs par celles de J. Twenge) amènent les deux chercheuses à penser que le lien existant entre l’accroissement du sentiment de solitude et l’utilisation des nouvelles technologies n’est pas simplement une corrélation, mais bien un lien de causalité ( car on pourrait légitimement se demander si c’est parce que l’homme moderne vit trop isolé qu’il est constamment connecté…. Ou si c’est le contraire ?). Selon les deux chercheuses, les smartphones constituent bel et bien la cause majeure des changements!

Le livre est divisé en deux parties :

- Première partie : Le moment robotique : nouvelle solitude, nouvelle intimité.

T. y décrit la relation des hommes aux robots de compagnie (machines de forme + ou- humaine, qui parlent, répondent, obéissent aux ordres, travaillent à côté de nous…- robots qui apparaissent de plus en plus, surtout aux USA, Japon,Asie. Ex : dans les EMS, des robots pour interagir avec les résidents ; ou des robots- jouets utilisés comme Nounou pour les enfants). T. relève la tendance à les considérer comme des  vivants, et à se laisser duper par leurs réactions préprogrammées. Ils réveillent des fantasmes et ont l’avantage d’être sûrs, sans surprise, bien plus maîtrisables que les relations interpersonnelles qui sont complexes et parfois éprouvantes.                                                             Page 47 , b

- Deuxièmement partie : En réseau : dans l’intimité, de nouvelles solitudes. ( je me concentrerai sur cette partie)

Sujet : l’utilisation des smartphones ou des réseaux sociaux (par ex. Facebook ou Snapchat : 2,8 milliards d’individus qui, actuellement, se rendent au moins une fois par jour sur un réseau social !).                       P.46

§3            LE TEXTE :  LA PREFACE.

-  Dans la préface T. dresse un historique. Elle rappelle l’arrivée chronologique des différentes technologies : elle montre de quelle manière les ordinateurs ou les smartphones, dès leur conception, bouleversent la vie des utilisateurs et les transforment :                                                                         PP 9 et 10.

- T. résume l’évolution des nouvelles technologies entre 1980–2011 ( en 30 ans, on est passé d’ordinateurs relativement simples aux smartphones).

Entre 1980–1990 : on assiste à l’avènement des réseaux sociaux. La question devient : quelle relation les humains nouent-ils entre eux à travers ces machines ?                              P. 12

Dès 1995 se développe, en parallèle à la vraie vie, une identité ou une vie parallèle virtuelle, souvent perçue comme plus attrayante que la première. Les ordinateurs sont mobiles, ce sont des « portables » donc toujours à portée de main :« Ainsi nous pouvions être toujours les uns avec les autres ».   P.13

- T, fut d’abord ( dès 1970) très enthousiaste et confiante vis-à-vis de ces nouvelles technologies. Elle observe dès 2011 le revers de la médaille et exprime de réelles inquiétudes sur les effets de l’hyper-connectivité et des réseaux sociaux.    P.14

- Finalement T. souligne le paradoxe de nos rapports aux machines : nous humanisons les machines (en fabriquant des robots censés remplacer les humains), et d’un autre côté nous sommes  amenés à traiter nos semblables comme des objets.    P.17

§4            LE TEXTE : INTRODUCTION

Dans son introduction ,T commence par se demander pourquoi la technologie nous séduit tant :  « Nous sommes fascinés par tout ce qui est nouveau » ; mais surtout, la technologie semble « palier nos vulnérabilités », dit-elle . Son succès plonge ses racines dans notre besoin privé ou professionnel d’être reliés aux autres, tout d’abord, et ensuite dans les éventuels  manques dont nous souffrons dans ces domaines. La nécessité du lien avec les autres est donc la source principale de l’énorme succès de ces technologies, autant dans le domaine privé que professionnel.                                                                                     P.19

5)             12 THEMATIQUES :

§1            Toujours connectés (Ch.8)

Les cyborg : T. compare 1996 avec 2011, comme le ferait une ethnologue. En 1996, on a inventé les cyborg : des étudiants au MIT transformés en êtres ultra connectés, des extraterrestres lestés d’émetteurs et de capteurs radio. En 2011, portant un natel, nous sommes tous dans la même situation que ces extraterrestres ultra connectés en permanence, mais de manière invisible.                                 Page 239 et 244

Dans un bref article (que  le journal  l’Hebdo avait en son temps consacré à T. en juillet 2012, celle-ci  parlait ainsi des effets des nouvelles technologies : « On peut les résumer par un aphorisme :  je partage donc je suis (cf. Descartes). Autrement dit, bien des gens croient qu’ils n’ont de pensées intéressantes que lorsqu’ils les communiquent. ». Pour se sentir exister réellement, les smartphones ont habitués beaucoup d’utilisateurs à toujours devoir montrer et rendre visible ce qu’ils font.Finalement cela se résumerait à dire : « Je n’existe que lorsque je communique ». 

La soif parfois intarissable de communication qui crée un véritable risque de dépendance, proviendrait donc du besoin de reconnaissance, besoin d’être confirmé par l’autre, autant dans notre existence que dans notre valeur. Et lorsque l’autre ne répond pas à mon appel vocal ou écrit, alors c’est comme si l’espace d’un instant je n’existais plus….ce qui me jette bien entendu dans le vide abyssal du non-être, dans le néant.

§2            L’identité réelle et l’identité virtuelle : des limites floues.

T. parle des jeux connectés,  des « jeux en ligne » (on s’ invente un portrait, une identité créée pour ce jeu et on joue avec des inconnus, ou des gens connus) ou des « tchats »( des système, plate-formes d’échanges appelés résaux sociaux, qui permettent à plusieurs personnes de discuter virtuellement par écrans interposés. ex : Facebook, Twitter). D’où vient l’attrait de ces jeux pour des dizaines de milions de joueurs  (2,8 milliards y vont au moins une fois par jour !)? Ils fonctionnent comme ce que le célèbre psychiatre Eric Erikson a nommé l’ « espace du jeu », espace très important pour les adolescents. (Erikson est un célèbre psy. du développement et psychanalyste germano-américain, 1902-1994 ; il a théorisé les 8 stades psychosociaux de dév.). Il s’agit d’un moratoire, d’un espace vierge, fictif, libre, dans lequel l’adolescent peut faire ce qu’il veut sans conséquences. Cet espace du jeu offre donc une sorte d’intermédiaire entre la réalité, ses contraintes, et l’espace totalement libre de l’imagination et du fantasme. Les adolescents en particulier utilisent ce genre d’espace pour structurer leur identité plus ou moins connectée au réel. Ces jeux présentent l’avantage d’entretenir des limites floues avec le réel et  de soliciter un  engagement  restreint des participants.Page 242

Caractéristique de ces conduites : avoir plusieurs vies en une. Et jouer avec une/des fausses identités.

Internet et les réseaux sociaux, rendent possible la création de vies parallèles et d’identités multiples idéalisés : les communications en réseau ou les plate-formes de jeux à multiples joueurs permettent le passage incessant d’une vie à une autre. L’attention il est en permanence fragmentée et la vie est discontinue.                                                                  Page 250

Ainsi les joueurs peuvent mener de front plusieurs vies : la vie réelle est complètée par une vie fictive. (Exemple d’un  père de deux jeunes enfants d’ une quarantaine d’années, marié, qui chatte sans arrêt avec une autre femme qu’il a épousée sur la toile, et à qui il peut tout écrit, même les choses difficiles (Page 253). Les avatars, les fausses identités servent à s’échapper de l’ennui du quotidien ou à s’extraire des tensions professionnelles ou familiales.                                                                                                          Page  254

Vivre et faire vivre l’avatar de soi-même.

Quel est l’attrait d’avoir un moi virtuel ? Se créer un moi virtuel augmente le sentiment d’avoir du pouvoir sur son existence (et sur celle des autres ?) en imaginant une vie compensatoire. Notons néanmoins que les joueurs éprouvent de grandes difficultés à créer leur profil fictif: ils sont assaillis de doutes et il en résulte de l’instabilité. Ils ont tendance à se comparer sans cesse avec les autres. Cela entraîne finalement  souvent une dévalorisation de soi et une augmentation de sentiments dépressifs , ce qui est le contraire de l’effet recherché:    Page 286

  « Avec Facebook, les adultes redeviennent des lycéens ». On observe  de l’angoisse et du stress lors de la représentation soi. Selon des témoignages, quitter Facebook procure même un sentiment de libération.

§3            Le paradoxe : toujours plus connectés, plus ensemble, plus reliés mais toujours plus seuls et tournés sur soi.

Chacun est plongé sur son écran, comme happé dans un puits plus attrayant que la réalité :  Pages 245 -6

La thèse de T. est la suivante : nous pouvons être ensemble, toujours réunis en échangeant sur Internet, et pourtant être toujours plus seuls dans nos vies ; d’où le sous- titre  du livre: En réseau, dans l’intimité, de nouvelles solitudes. Imperceptiblement, les frontières se brouillent entre le dialogue intérieur et le fait de partager en tout lieu. La limite entre moi et les autres devient plus floue : je ne suis jamais vraiment et authentiquement seul avec moi-même (car toujours en lien potentiel), et jamais non plus réellement disponible pour l’autre, entièrement présent pour lui.

T. parle ailleurs à ce propos (Hebdo) d’ «  un trouble narcissique de la personnalité », donc d’une tendance non réfléchie à limiter son horizon à soi-même, doublée d’un besoin permanent de tout montrer aux autres, sans se demander si cela peut réellement avoir de l’intérêt pour eux (ex :la célèbre photo de l’assiette de spaghettis bolognaise !!).

T. parle à ce propos d’une  « inquiétante symétrie » :

L’hyper connectivité, la trop grande profusion de communications et d’interlocuteurs incite à traiter les autres comme des objets :                                               Page 268 

§4            Les lieux deviennt des non-lieux.

Les lieux où on se trouve deviennent des « non-lieux » (cf. Rosa) : même un lieu attrayant et nouveau en voyage perd de son importance en faveur de la personne avec laquelle on échange au téléphone. On est toujours en même temps « ici et ailleurs ».

(Ex. de la fille de T. en voyage avec elle à Paris qui tél. à un ami à Boston, lui donne rendez-vous 3 jours plus tard, mais oublie même de lui dire qu’elle se trouve actuellement à Paris !).        Page 248

§5            Les angoisse, les troubles et la solitude.

 Les enquêtes citées par T. et par Twenge relèvent une augmentation significative des troubles et du mal -être des  jeunes Américains : les individus se disent de plus en plus angoissés, de moins en  moins sûrs deux, et ressentent de plus en plus un sentiment d’isolement. Beaucoup se sont éloignés géographiquement de leur communauté de base (famille, amis d’enfance…) et n’ont plus le temps de  nouer des liens sérieux et solides. Dans ce contexte, un robot ou des amis  connectés deviennent  « une compagnie sans inconvénient ». Internet permet de se sentir moins seul, sans devoir assumer la complexité et les subtilités des relations véritables.

De nouvelles angoisses apparaissent : la pratique des tchatts en direct ou des textos influence des changements de comportements qui viennent du sentiment d’anonymat et de ne pas voir directement les conséquences de nos actes sur les autres. Une jeune femme, Marcia 16 ans, dit qu’elle a été étonnée de constater que « Je peux être cruelle avec les autres ».

D’autres angoisses émergent : l’ angoisse de ne pas vraiment savoir avec qui on chatte– la peur de rater quelque chose (troubles du sommeil, se lever la nuit ; 1ère chose à faire les 3 premières mn au lever pour les 15-25 ans : consulter son natel)–la peur d’être mis de côté par ses amis ou par un groupe–la peur d’être déconnecté ou de ne pas avoir son portable (impossibilité à partir en vacance là où il n’y a pas de wifi. Ex. : en Espagne, bcp de villages sont depuis 10 ans complètement abandonnés. La 1ère raison invoquée : la mauvaise connexion wifi !!).

  Globalement  T. souligne que les nouvelles technologies sont idéalisées :                Page 249

§6            Ne plus être vraiment dans le présent, avec qui on est ; donc être en partie absent. La diminution de l’engagement et l’ augmentation de l’individualisme.

T. a observé que les gens ne se sentent pas totalement présents là où ils se trouvent : toutes les conversations sont désormais susceptibles d’être interompues par un appel téléphonique ou par des messages : l’interlocuteur et alors comme « mis sur pause ». On le ralume par la suite.  Ceci encourage une tendance à se conduire de manière plus individualiste qu’avant : je communique ce que je veux, quand je le veux et à qui je veux. Même éteints, les smartphones peuvent rester sur vibreur ou avoir l’écran qui s’allume, et aini m’appeler ailleurs.                                                                                                                         Page 256

§7            Le multitâches : pour être plus performant et plus rapide, le multitâche (faire plusieurs choses en même temps) , qui était mal perçu avant (années 80) est maintenant valorisé, alors même que beaucoup d’études psychologiques montrent la dégradation de l’attention qui en découle (problématique inquiétante de la forte augmentation des troubles de l’attention dénoncés par les cliniciens).  Page 258

Notons que les pédagogues, les enseignants, sont radicalement divisés sur ce sujet, entre ceux qui voit dans internet l’avenir du savoir et ceux qui veulent «le sevrage médiatique pour réussir à faire travailler les élèves. »                                                                                                                                                                          Page 259

§8            Les troubles de l’image de soi et la dépréciation de l’estime de soi.

Etonnamment, internet et les mobiles sont des facteurs qui finissent par créer insidieusement de la dépréciation de soi, de la culpabilité et de la dévalorisation, même si leurs utilisateurs  recherchent évidemment l’inverse.

En effet, alors que d’un côté ces appareils nous donnent l’impression d’accroître nos connaissances, nos compétences et le champ des possibles (ex Safari, Firefox, moteurs de recherches instantanés), d’un autre côté, en réalité, ils augmentent parallèlement notre sentiment d’incomplétude et de limite, et ceci pour deux raisons :

1.- Premièrement , ils nous renvoient à un champ de connaissances et d’activités possibles illimité.P. 260

Il y a une fascination à voir sa vie défiler sur son smartphone. Mais la multitude d’informations et de tâches à accomplir dépasse toujours largement nos possibilités réelles : cela engendre de la culpabilité. Ces appareils nous poussent en effet à vouloir en faire toujours plus que ce dont nous sommes capables (lien avec l’hyper-accélération selon Rosa).

Les parents et les enfants sont ainsi dépassés par l’accélération généralisée. Avec le smartphone, on a son bureau toujours sur soi. Si on n’y prend garde se met ainsi en place une énorme pression du travail et également une énorme pression des loisirs, car une vie réussie passe (Rosa) par une accumulation frénétique d’expériences. Relevons que beaucoup de jeunes tentent de s’échapper de cette réalité :

(Page 261 : le champ du possible dépasse toujours le champ du réel)

2.-  2ème raison créant de la dépréciation : ces appareils peuvent nous pousser à nous comparer en permanence avec les autres… non pas avec la réalité de la vie des autres, mais avec « la mise en scène » de la vie idéalisée, que les autres nous présentent, par exemple dans la profusion de photos témoignant des moments idylliques de leur vie. L’internaute compare alors ces images de moments de bonheur avec la réalité de son existence qui, par définition, contient de l’ennui et des difficultés… ce qui accroît son sentiment de solitude et de dévalorisation. « De toute évidence, ma vie à moi est moins riche, moins réussie que celle des autres » !

(Deux exemples personnels : - un élève : 3 semaines de vacances en été en Suède : 3 semaines de pluie ; il reçoit des photos des copains sur la Côte d’Azur au soleil).

          - Effets dévastateurs des images publicitaires et du mannequinat sur la perception de l’aspect physique des jeunes filles- qui amènent à la non-acceptation de son propre corps ! Problème réel, répandu+ rôle des « influenceuses »).

Notons que J.Twenge insiste encore d’avantage que T. sur la bcp plus grande fragilité d’énormément d’adolescent.e.s de la IGen generation ( nés entre 1995 et 2012). Plusieurs études américaines récentes le montrent…. (et même fin janvier 2022 en Suisse : chiffres alarmants : doublement des suicides chez les jeunes en 21 !).

(Twenge : courte biographie : c’est une psychologue américaine née en 1971(50) qui étudie les différences intergénérationnelles au niveau des valeurs professionnelles, des objectifs de vie et de la vitesse de développement. Elle est professeur de psychologie à l’université d’État de San Diego, chercheuse-auteur, consultante et conférencière. C’est une scientifique très écoutée, connue et reconnue, spécialisée dans la question du rapport avec les technologies selon les générations).

§9            Autre effet paradoxal : le besoin d’autonomie et la tendance à l’immaturité. L’appréhension des conversations.

 T. observe des effets paradoxaux : les smartphones encouragent en fait la prise d’indépendance tout en l’empêchant. Les jeunes sont souvent critiques par rapport à ce double message.            Pages 269-270

Dans nos sociétés occidentales, le besoin de développer un moi autonome, de se séparer des parents et des amis est central :                                                                                                                        Page 276

Mais à l’opposé de ce besoin d’autonomie, avec l’habitude de ces technologies, une émotion, une pensée n’existe vraiment qu’à partir du moment où elle est communiquée et validée par les autres. Il y a donc une baisse de l’autonomie, de la maturité,  et une augmentation du conformisme :                        Page 277

Le sentiment d’isolement, de la peur de la solitude et de l abandon croît également. Page 281-2

Plus préoccupant encore : on observe aussi une peur du face à face inhérent à la discussion et une crainte  de s’engager dans un dialogue.

La conséquence de tout cela est un prolongement de  l’immaturité.

Selon Erik Erikson , les adolescents ont besoin d’un terrain de jeux aux facettes multiples, dans un espace neutre, pour explorer leur moi. Mais l’adulte, au contraire, arrivé à maturité, pose ensuite des limites solides au moi. Donc  le/les mois virtuels encouragés par internet incitent le jeune adulte à rester dans d’une sorte d’immaturité ( à travers une multiplicité durable de mois fictifs) :                     Page 283

(De plus, le narcissisme est à nouveau encouragé :                                                   Page 284)

( J.Twenge, quant à elle, observe également la nette tendance actuelle de la IGeneration à mettre plusieurs années supplémentaires pour devenir autonome, conséquence de ces technologies (cela se  manifeste  statistiquement par  des comportements retardés : il faut plus d’années avant de quitter la maison- à sortir de la maison le soir sans ses parents- à avoir une relation stable et une vie sexuelle- à passer son permis de conduire- à entrer dans la vie professionnelle).

§10         Cela ne vaut plus la peine de passer un coup de fil. (Ch. 10)

Un téléphone, oui, mais pas tellement pour téléphoner… !

Globalement, bcp de gens  plutôt jeunes ont confié à T. qu’ils préfèrent communiquer par textos (mails, sms…) que de parler au téléphone :

( Article Hebdo) :« Il y a de moins en moins de vraies conversations (elles sont remplacées par des mails)…C’est une mutation claire qui permet de réduire le contact humain et de s’abstraire tout simplement face aux situations sociales. (….) Internet , le mobile sapent dans une certaine mesure l’esprit de groupe. La technologie nous permet de prendre discètement la tangente. (…) Les smartphones encouragent en tout cas la vision d’un monde où chacun est un acteur solitaire : je suis seul à décider ce que je communique, à qui et quand. Jusqu’ici, un tel comportement était interdit par les règles du groupe : il importait, même lorsqu’on s’ennuyait, d’être attentif et de montrer ainsi son appartenance. ».

La conversation par téléphone ressemble pourtant bien plus au face à face des conversations réelles que les textos. Quels sont donc les avantages des communications écrites ? Dans un monde de la rapidité, elles prennent bcp moins de temps- la communication est en générale brève- elles tiennent l’autre à distance-  et je dois moins m’adapter : j’écris quand je veux et lis quand je veux. Je gère le temps et aussi les situations. Je gère même mes émotions : rien ne se fait en direct, et j’ai le temps de réagir, donc j’ai l’impression de mieux maîtriser ce qui s’échange…. De mieux maîtriser ma vie…. Mais les désavantages sont : que je me sens de plus en plus seul,  que je désapprends les règles, les joies et les risques de la parole spontanée. Je ne peux plus ni bien écouter, ni aider ou être écouté et aidé.

Je partage par bribes, et le contenu-même de ce qui est échangé semble affecté : ce sera plus bref et aussi souvent plus superficiel. Ou alors au contraire , ce sera très abrupte (Ex :Je te quitte….  Vous êtes licencié…X est décédé…), ce qui permet au locuteur d’échapper à une bonne partie de sa responsabilité ou de sa culpabilité .

T. raconte que plusieurs familles ou couples règlent beaucoup de sujets délicats en préparant le terrain par écrit, alors qu’ils pourraient se parler. Ils désamorcent en quelque sorte les sujets difficiles, potentiellement conflictuels en écrivant des textos. Ainsi on prend moins de risques de déragages.

Audrey ,17ans, témoigne de cette perte du sens de la conversation : « Il y a trop de stress en conversation directe car on ne maîtrise pas tout, on n’a pas le contrôle de ses sentiments, il y a trop d’engagement » dit-elle. Audrey craint aussi la peur du silence est éprouve du malaise à partagez certains sujets :      Page 299

§11         Tous débordés

Les ados nés avec Internet (fin années 80- début 90) et leurs parents se disent tous débordés et toujours joignables, mais d’une manière différente. Pour les sado, le smartphone est un refuge, une protection (moi :aux pauses, à l’école, bcp d’étudiants plongent littéralement dans leur smartphone- capuche, le plus souvent pour y être seuls. Mais d’autres fois, ils partagent et rient). Pour les parents internet est souvent un lien avec le travail. Ils sont de garde, de piquet pour le travail ou la famille.              Page 317

L’ autrice aborde ensuite la dimension de la solitude, comme étant essentielle à l’être humain. La solitude,  la tranquilité du soi-à-soi est mise en danger par l’obligation de répondre à tout moment au téléphone.                                    Page 318-9

Certaines personnes témoignent qu’elles travaillent tellement qu’elles ne sont plus jamais seules : elles n’ont plus assez d’énergie pour vouloir ou pouvoir entrer en contact direct, verbal avec leurs amis. Elles désirent ne plus être interrompues par les autres : « Avec le smartphone j’ai l’impression de mieux gérer mes contacts avec les gens ». Le téléphone  est  craint ou réservé aux gens très proches. L’utilisation des technologies a une influence sur les contenus des échanges : par textos, les choses importantes, essentielles ne se disent pas, ou pas bien.

La tendance inverse existe aussi : dire des choses bouleversantes (séparation, maladie grave, décès) par mail : cela apporte le confort de ne pas avoir à partager ses émotions sur le moment. Esr c’est plus confortable de ne pas se montrer vulnérable. Mais cela empêche d’apprendre à gérer ses émotions avec les autres, à partager et à se soutenir. Ainsi la solitude et la fragilité augmentent encore.

Vivre ses émotions pour soi augmente l’habitude d’un fonctionnement solitaire. Cela aussi crée de la fragilité.                 Pages 323-4

12§         Les risques. La vie privé est politique .

Ces technologies ont banalisé le fait d’être constamment potentiellement surveillés, au nom de la sécurité (Par ex :évènements du 11 septembre 2002- Patriot act) :                                             Page 382

T.rappelle que la vie privée est politique : bcp de gens se sont habitués à l’idée qu’ils peuvent, sur internet, potentiellement tj être écoutés et suivis, sans  réellement s’offusquer et chercher à s’y opposer. Elle mentionne à ce sujet  notion des « panoptiques » de M.Foucault.                                                                            P. 406

6)            Conclusion. 

T. ne propose pas de solution miraculeuse ou illusoire au problème. Elle se contente de décrire les faits et de poser le fond de la question, étape indispensable au changement : le point de départ consiste à prendre conscience de ce qui s’est passé ces 15 dernières années et d’y réfléchir sérieusement. Comme ces technologies ne nous quittent plus, nous verrons mieux dans quelle mesure elles ont, silencieusement, insidieusement et à notre insus, modifié nos habitudes fondamentales de vie. Il est encore temps, dit-elle, de prendre réellement conscience de la profondeur du problème et de décider de changer nos pratiques, pour redevenir les maîtres de ces machines,  les maîtres de nos relations interpersonnelles et de nous-mêmes, et de cesser ainsi de nous comporter comme leurs esclaves.                 P.454-5

A la mémoire de Pierre-André Stucki,

Crêt Bérard, Françoise Tanguy, 12.02.2022