2. La démonstration de Swinburne

Pour sa démonstration, Swinburne examine différents aspects de la réalité, ainsi que l’objection au théisme représentée par l’existence du mal.

2.1. Par rapport au monde physique et à son ordre

Quand la science pose la question « Comment tout cela s’explique-t-il ? », elle s’expose à une régression explicative à l’infini. Le matérialisme entend arrêter la régression à la théorie de la grande unification. Mais la question reste : comment s’explique cette grande unification ? Le théisme représente la meilleure explication. A partir de la toute puissance et de la bonté de Dieu, on peut expliquer que l’ordre du monde et ses régularités ont été voulus par Dieu pour permettre à l’homme d’apprendre et de comprendre, de maîtriser son environnement et de le transformer.

2.2. Par rapport aux corps humains et aux animaux

L’existence des corps et des animaux et leur ordonnance complexe sont un indice probant de l’existence de Dieu. Car le hasard est insuffisant à expliquer leur existence, alors que Dieu a des raisons de les avoir créés.

L’explication darwinienne de l’évolution des espèces n’est pas une objection, car, d’une part, elle n’est pas une explication ultime, elle laisse ouverte la question du pourquoi de l’emboîtement de toutes les lois naturelles et, d’autre part, le théisme est parfaitement compatible avec l’idée d’une création par processus graduel. Il serait donc faux d’affirmer que le Dieu du théisme est un Dieu bouche-trou : le théisme postule un Dieu pour expliquer ce que la science décrit.

2.3. Par rapport à l’existence humaine

L’être humain est composé d’une substance matérielle, le corps, et d’une substance immatérielle, l’âme, qui est le constituant essentiel de la personne humaine. Il est ainsi le théâtre d’événements physiques ou cérébraux (événements susceptibles d’être vérifiés par l’observation extérieure de tiers) et d’événement mentaux (événement liés à la conscience, éprouvés directement et personnellement) qui interagissent. Ces derniers ne sont pas mesurables comme les événements physiques ou l’activité du cerveau.

Il est impossible de formuler une théorie scientifique susceptible d’expliquer les rapports de l’âme et du corps (les variations de correspondance entre ce qui se passe dans le cerveau et ce qui se passe dans la conscience ; ou, dans le processus de l’évolution, l’apparition de l’âme dans un corps). En revanche, le théisme est capable de fournir une explication ultime : par sa toute-puissance, Dieu est susceptible de joindre des âmes à des corps et de produire des liaisons entre événement cérébral et événement mental. Et il a des bonnes raisons pour le faire : car il est bon qu’il y ait des humains capables d’avoir des opinions et d’agir sur le monde. Un Dieu généreux a des raisons de créer des êtres capables de libre-arbitre. Il nous conduit à nous attendre à de tels phénomènes.

2.4. Par rapport aux miracles et à l’expérience religieuse

Il existe des récits de miracles, avec des indications historiques précises, relatant la suspension de lois de la nature. Ils sont un indice supplémentaire de l’existence de Dieu. Car dans la mesure où il y a des raisons de penser qu’il y a un Dieu bon, nous pouvons nous attendre à ce que Dieu, occasionnellement, laisse tomber les règles qu’il a instaurées pour intervenir à notre profit directement dans le cours de l’histoire. La garantie qu’une révélation vienne de Dieu, c’est qu’il l’authentifie en la fondant sur un miracle. Les expériences religieuses, au sens d’une expérience personnelle de Dieu, sont un autre indice de l’existence de Dieu. Des millions de personnes s’en réclament.

2.5. Par rapport à l’objection du mal

L’objection que la réalité du mal représente pour la foi en Dieu implique de prendre du recul par rapport à soi-même de manière à pouvoir se demander : quels sont les plus grands bienfaits qu’un Dieu généreux et éternel devrait procurer à des êtres humains au cours de leur brève vie terrestre ?

Le plus grand bienfait qu’un Dieu généreux et éternel puisse procurer à des êtres humains, c’est le libre arbitre. Or le libre-arbitre suppose nécessairement la possibilité du mal moral (mal provoqué délibérément par des êtres humains). Et pour qu’il soit réel, il faut que le mal moral puisse être effectif.

Ainsi, le mal moral et la souffrance ne sont pas des objections contre le théisme : ils le seraient si la seule bonne chose dans la vie était le plaisir sensible ; mais si le plus grand bien c’est le libre-arbitre, ils ne sont plus des objections ; car par le mal et la souffrance qu’autrui m’inflige, je suis utile à l’exercice de son libre-arbitre. Au reste, Dieu met une limite au mal que je peux subir, par la durée relativement courte de la vie des humains.

Quant au mal naturel (mal non délibéré ni issu d’une négligence humaine), il a un rôle essentiel pour le libre-arbitre des humains. Il leur permet de découvrir par eux-mêmes, sans que cela leur soit soufflé à l’oreille, les processus de production de maux ; il met le libre-arbitre des humains devant un choix : lamentation ou patience, compassion ou insensibilité, etc. Il donne aux humains l’occasion de faire des choix louables.

Et Swinburne tient à faire remarquer que sa théodicée n’a pas besoin d’inclure la supposition d’une compensation après la mort , tout en affirmant aussi sa compatibilité avec elle. 

2.6. Au terme de la démarche

Arrivé au terme de sa démarche, Swinburne estime, par effet d’indices cumulés, avoir rendu significative la probabilité qu’il y a un Dieu plutôt que non.

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