Le prologue de l'évangile de Jean et la question du théisme

Le prologue johannique (Jean 1,1-18) qui fixe le cadre herméneutique dans lequel l’évangile doit être lu, aborde de façon centrale la question de Dieu. En ce sens, il fournit un point de référence précieux quand il s’agit de comparer la compréhension néotestamentaire de Dieu à celle du théisme. Or, comme le montre l’argumentation développée dans le prologue, la position johannique s’oppose frontalement à la position théiste.

Le premier argument a trait à la transcendance de Dieu et à la possibilité pour l’être humain de le connaître. Le motif de la préexistence du Logos fournit le point de départ de la réflexion.  (« Au commencement était le Logos et le Logos était auprès de Dieu, et le Logos était Dieu. Celui-ci était au commencement auprès de Dieu »). Le commencement dont il est fait état ici, n’est pas, comme on le suppose trop souvent, la création du monde, laquelle ne sera évoquée qu’au v. 3, mais le commencement avant le commencement. Or ce « commencement immémorial » relève pour l’être humain de l’impensable, de l’inatteignable. Il est le signe de la transcendance. Il est par excellence ce qui se dérobe à la connaissance humaine. Le début du prologue postule donc simultanément l’origine divine du Logos, mais une origine qui se dérobe à toute investigation humaine. De plus, ce n’est pas Dieu comme tel qui est au centre de l’attention, mais Dieu dans sa relation avec le Logos, c’est-à-dire dans sa relation avec le monde.

Le second argument se réfère à la création. Cet aspect est déterminant puisque le théisme identifie Dieu comme le Créateur du monde. Dans le prologue johannique, le monde dans son ensemble correspond certes à la volonté de Dieu – mais c’est le Logos qui est l’agent de la création. Le motif de la création est donc christologisé ; ce déplacement de la cosmologie vers la christologie se concrétise en ce que la volonté créatrice du Logos se concrétise dans une affirmation sur l’existence humaine : elle veut apporter vie et sens à l’être humain (v. 4). Elle fait néanmoins l’objet d’un refus universel. Le monde n’est donc pas présenté comme l’espace qui permettrait à l’être humain de parvenir à la connaissance naturelle de Dieu. Tout au contraire, il est l’espace de sa révolte.

Le troisième argument dit à quelle condition la connaissance de Dieu est possible dans une perspective biblique. Il tient dans la thèse de l’incarnation. Pour se faire connaître, Dieu prend l’initiative de se révéler à l’être humain (v. 14) : « Et le Logos est devenu chair, il a habité parmi nous. » En d’autres termes, ce n’est pas l’homme qui peut découvrir Dieu par le biais de la connaissance, mais c’est Dieu qui s’offre à la connaissance de l’homme par le Logos incarné. Sans révélation, pas de connaissance de Dieu.

Le quatrième argument spécifie, par opposition au théisme, le caractère indirect de la connaissance de Dieu. L’affirmation « Personne n’a jamais vu Dieu » ne stigmatise pas une défaillance humaine, mais la différence qualitative infinie qui existe entre le Dieu transcendant et l’être humain. La seule connaissance possible de Dieu advient par le Logos, c’est-à-dire dire par le biais d’une parole intelligible et articulée, celle qui advient dans l’existence historique de Jésus de Nazareth telle qu’elle est exposée dans l’évangile. La connaissance de Dieu n’est donc ni de l’ordre de la spéculation, ni de celui de la raison, mais de la révélation.

Le cinquième argument se distingue du théisme en situant le lieu de la connaissance de Dieu non dans un système spéculatif dont l’homme aurait la maîtrise, mais dans l’existence humaine. Il tient dans la thèse que connaissance de Dieu et connaissance de l’être humain sont conjointes. Connaître Dieu, c’est connaître sa grâce à l’égard de tout homme c’est découvrir le rapport d’asymétrie où Dieu se donne en se communiquant pour l’unique bien de l’homme.

Jean Zumstein    

1 Au commencement était le Logos et le Logos était auprès de Dieu, et le Logos était Dieu. 2 Celui-ci était au commencement auprès de Dieu. 3 Toutes choses sont advenues par lui et rien de ce qui fut ne fut sans lui. 4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. 5 Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie.

6 Il y eut un homme, envoyé de la part de Dieu, son nom était Jean. 7 Celui-ci vint en vue du témoignage afin de témoigner au sujet de la lumière, afin que tous crussent par lui. 8 Celui-là n’était pas la lumière, mais c’était afin qu’il rendît témoignage à la lumière.

9 Il était la lumière véritable qui illumine tout homme, en venant dans le monde. 10 Il était dans le monde et le monde fut par lui et le monde ne l’a pas connu. 11 Il vint dans son propre bien et les siens ne l’ont pas accueilli. 12 Mais à ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, 13 eux qui ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu.

14 Et le Logos est devenu chair et il a habité parmi nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle que tient du Père le Fils unique, plein de grâce et de vérité. 15 Jean témoigne à son sujet et il a crié, disant : « C’était celui dont j’ai dit : celui qui vient après moi m’a devancé parce qu’avant moi il était. » 16 En effet, de sa plénitude, tous, nous avons reçu et grâce sur grâce. 17 En effet, la Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont advenues par Jésus Christ. 18 Personne n’a jamais vu Dieu ; [le] Fils unique [qui est] Dieu, qui est tourné vers le sein du Père, celui-là l’a fait connaître.

Jean Zumstein

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