QUELQUES GRANDS TEXTES À PROPOS DU THÉISME

1. Théisme et christianisme selon Pascal (1623-1662)

1.1. A qui s'adresse 1' « Apologie »?—Gravité de la question posée. [427 (194) PNC. Série 111].

"... Qu'ils apprennent au moins quelle est la religion qu'ils combattent avant que de la combattre. Si cette religion se vantait d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisqu'elle dit, au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres et dans l'éloignement de Dieu, qu'il s'est caché à leur connaissance, que c'est même le nom qu'il se donne dans les Écritures, Deus absconditus; et, enfin, si elle travaille également à établir ces deux choses: que Dieu a établi des marques sensibles dans l'Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement; et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la négligence où ils font profession d'être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre, puisque cette obscurité où ils sont, et qu'ils objectent à l'Église, ne fait qu'établir une des choses qu'elle soutient, sans toucher à l'autre, et établit sa doctrine, bien loin de la ruiner?..."

1.2. XI. APR (149)

...

"... Quelle religion nous enseignera donc à guérir l'orgueil, et la concupiscence ? quelle religion enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses, les remèdes qui les peuvent guérir et le moyen d'obtenir ces remèdes. Toutes les autres religions ne l'ont pu. Voyons ce que fera la sagesse de Dieu.

N'attendez point, dit-elle, ô hommes, ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formés et qui puis seule vous apprendre qui vous êtes.

Mais, vous n'êtes plus maintenant en l'état où je vous ai formés. J'ai créé l'homme saint, innocent, parfait, je l'ai rempli de lumière et d'intelligence, je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L'oeil de l'homme voyait alors la majesté de Dieu. Il n'était pas alors dans les ténèbres qui l'aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l'affligent.

Mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. Il a voulu se rendre centre de lui-même et indépendant de mon secours. Il s'est soustrait de ma domination, et s'égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même je l'ai abandonné à lui, et révoltant les créatures qui lui étaient soumises, je les lui ai rendues ennemies, en sorte qu'aujourd'hui l'homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi qu'à peine lui reste(-t-)il une lumière confuse de son auteur tant toutes ces connaissances ont été éteintes ou troublées..."

1.3. Le début du pari

"...Parlons maintenant selon les lumières naturelles.

S'il y a un Dieu il est infiniment incompréhensible, puisque n'ayant ni parties ni bornes, il n'a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu'il est, ni s'il est. Cela étant, qui osera entreprendre de résoudre cette question. Ce n'est pas nous qui n'avons aucun rapport à lui.

Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison; ils déclarent en l'exposant au monde que c'est une sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas. S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole. C'est en manquant de preuve qu'ils ne manquent pas de sens. ..."

2. Théisme et christianisme selon Voltaire (1694-1778)

Extraits du "Dictionnaire Philosophique" :

"THÉISTE

Le théiste est un homme fermement persuadé de l'existence d'un Etre suprême aussi bon que puissant, qui a formé tous les êtres étendus, végétants, sentants, et réfléchissants; qui perpétue leur espèce, qui punit sans cruauté les crimes, et récompense avec bonté les actions vertueuses.

Le théiste ne sait pas comment Dieu punit, comment il favorise, comment il pardonne; car il n'est pas assez téméraire pour se flatter de connaître comment Dieu agit; mais il sait que Dieu agit, et qu'il est juste. Les difficultés contre la Providence ne l'ébranlent point dans sa foi, parce qu'elles ne sont que de grandes difficultés, et non pas des preuves; il est soumis à cette Providence, quoiqu'il n'en apercoive que quelques effets et quelques dehors; et, jugeant des choses qu'il ne voit pas par les choses qu'il voit, il pense que cette Providence s'étend dans tous les lieux et dans tous les siècles.

Réuni dans ce principe avec le reste de l'univers, il n'embrasse aucune des sectes qui toutes se contredisent. Sa religion est la plus ancienne et la plus étendue; car l'adoration simple d'un Dieu a précédé tous les systèmes du monde. Il parle une langue que tous les peuples entendent, pendant qu'ils ne s'entendent pas entre eux. Il a des frères depuis Pékin jusqu'à la Cayenne, et il compte tous les sages pour ses frères. Il croit que la religion ne consiste ni dans les opinions d'une métaphysique inintelligible, ni dans de vains appareils, mais dans l'adoration et dans la justice. Faire le bien, voilà son culte; être soumis à Dieu, voilà sa doctrine. Le mahométan lui crie: "Prends garde à toi si tu ne fais pas le pèlerinage de la Mecque !"  " Malheur à toi, lui dit un récollet, si tu ne fais pas un voyage à Notre-Dame de Lorette !" Il rit de Lorette et de la Mecque; mais il secourt l'indigent et il défend l'opprimé."

"DIVINITÉ DE JÉSUS

Les sociniens, qui sont regardés comme des blasphémateurs, ne reconnaissent point la divinité de Jésus-Christ. Ils osent prétendre, avec les philosophes de l'antiquité, avec les Juifs, les mahométans, et tant d'autres nations, que l'idée d'un Dieu homme est monstrueuse, que la distance d'un Dieu à l'homme est infinie, et qu'il est impossible que l'Etre infini, immense, éternel, ait été contenu dans un corps périssable.

Ils ont la confiance de citer en leur faveur Eusèbe, évêque de Césarée, qui, dans son Histoire ecclésiastique, livre I, chap. XI, déclare qu'il est absurde que la nature non engendrée, immuable, du Dieu tout-puissant, prenne la forme d'un homme. Ils citent les Pères de l'Eglise Justin et Tertullien, qui ont dit la même chose: Justin dans son Dialogue avec Tryphon et Tertullien dans son Discours contre Praxéas.

Ils citent saint Paul, qui n'appelle jamais Jésus-Christ Dieu, et qui l'appelle homme très souvent. Ils poussent l'audace jusqu'au point d'affirmer que les chrétiens passèrent trois siècles entiers à former peu à peu l'apothéose de Jésus, et qu'ils n'élevaient cet étonnant édifice qu'à l'exemple des païens, qui avaient divinisé des mortels. D'abord, selon eux, on ne regarda Jésus que comme un homme inspiré de Dieu; ensuite, comme une créature plus parfaite que les autres. On lui donna quelque temps après une place au-dessus des anges, comme le dit saint Paul. Chaque jour ajoutait à sa grandeur. Il devint une émanation de Dieu produite dans le temps. Ce ne fut pas assez; on le fit naître avant le temps même. Enfin, on le fit Dieu, consubstantiel à Dieu. Crellius, Voquelsius, Natalis Alexander, Hornebeck ont appuyé tous ces blasphèmes par des arguments qui étonnent les sages et qui pervertissent les faibles. Ce fut surtout Fauste Socin qui répandit les semences de cette doctrine dans l'Europe; et sur la fin du XVIe siècle il s'en est peu fallu qu'il n'établît une nouvelle espèce de christianisme: il y en avait déjà eu plus de trois cents espèces."

3. Théisme et déterminisme selon Spinoza (1632-1677)

Appendice au premier livre de "l'éthique" :

"J'ai expliqué dans ce qui précède la nature de Dieu et ses propriétés, savoir: qu'il existe nécessairement; qu'il est unique; qu'il est et agit par la seule nécessité de sa nature; qu'il est la cause libre de toutes choses, et en quelle manière il l'est; que tout est en Dieu et dépend de lui de telle sorte que rien ne peut ni être ni être conçu sans lui; enfin que tout a été prédéterminé par Dieu, non certes par la liberté de la volonté, autrement dit par un bon plaisir absolu, mais par la nature absolue de Dieu, c'est-à-dire sa puissance infinie. J'ai eu soin en outre, partout où j'en ai eu l'occasion, d'écarter les préjugés qui pouvaient empêcher que mes démonstrations ne fussent perçues; comme, toutefois, il en reste encore beaucoup qui pouvaient et peuvent aussi, et même au plus haut point, empêcher les hommes de saisir l'enchaînement des choses de la façon que je l'ai exposé, j'ai cru qu'il valait la peine de soumettre ici ces préjugés à l'examen de la raison. Tous ceux que j'entreprends de signaler ici dépendent d'ailleurs d'un seul, consistant en ce que les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d'une fin, et vont jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui-même dirige tout vers une certaine fin; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l'homme et qu'il a fait l'homme pour que l'homme lui rendît un culte. C'est donc ce préjugé seul que je considérerai d'abord cherchant primo pour quelle cause la plupart s'y tiennent et pourquoi tous inclinent naturellement à l'embrasser. En second lieu j'en montrerai la fausseté, et pour finir je ferai voir comment en sont issus les préjugés relatifs au bien et au mal, au mérite et au péché, à la louange et au blâme, à l'ordre et à la confusion, à la beauté et à la laideur, et à d'autres objets de même sorte. Il n'appartient pas toutefois à mon objet présent de déduire cela de la nature de l'âme humaine. Il suffira pour le moment de poser en principe ce que tous doivent reconnaître: que tous les hommes naissent sans aucune connaissance des causes des choses, et que tous ont un appétit de rechercher ce qui leur est utile, et qu'ils en ont conscience. De là suit: I° que les hommes se figurent être libres, parce qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit et ne pensent pas, même en rêve, aux causes par lesquelles ils sont disposés à appéter et à vouloir, n'en ayant aucune connaissance. Il suit: 2° que les hommes agissent toujours en vue d'une fin, savoir l'utile qu'ils appètent. D'où résulte qu'ils s'efforcent toujours uniquement à connaître les causes finales des choses accomplies et se tiennent en  repos quand ils en sont informés, n'ayant plus aucune raison d'inquiétude."

...

"N'ayant jamais reçu au sujet de la complexion de ces êtres [les dieux] aucune information, ils ont dû aussi en juger d'après la leur propre, et ainsi ont-ils admis que les Dieux dirigent toutes choses pour l'usage des hommes afin de se les attacher et d'être tenus par eux dans le plus grand honneur; par où il advint que tous, se référant à leur propre complexion, inventèrent divers moyens de rendre un culte à Dieu afin d'être aimés par lui pardessus les autres, et d'obtenir qu'il dirigeât la Nature entière au profit de leur désir aveugle et de leur insatiable avidité. De la sorte, ce préjugé se tourna en superstition et poussa de profondes racines dans les âmes; ce qui fut pour tous un motif de s'appliquer de tout leur effort à la connaissance et à l'explication des causes finales de toutes choses. Mais, tandis qu'ils cherchaient à montrer que la Nature ne fait rien en vain (c'est-à-dire rien qui ne soit pour l'usage des hommes), ils semblent n'avoir montré rien d'autre sinon que la nature et les Dieux sont atteints du même délire que les hommes. Considérez, je vous le demande, où les choses en sont enfin venues! Parmi tant de choses utiles offertes par la nature, ils n'ont pu manquer de trouver bon nombre de choses nuisibles, telles les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc., et ils ont admis que de telles rencontres avaient pour origine la colère de Dieu excitée par les offenses des hommes envers lui ou par les péchés commis dans son culte; et, en dépit des protestations de l'expérience quotidienne, montrant par des exemples sans nombre que les rencontres utiles et les nuisibles échoient sans distinction aux pieux et aux impies, ils n'ont pas pour cela renoncé à ce préjugé invétéré. Ils ont trouvé plus expédient de mettre ce fait au nombre des choses inconnues dont ils ignoraient l'usage, et de demeurer dans leur état actuel et natif d'ignorance, que de renverser tout cet échafaudage et d'en inventer un autre. Ils ont donc admis comme certain que les jugements de Dieu passent de bien loin la compréhension des hommes: cette seule cause certes eût pu faire que le genre humain fût à jamais ignorant de la vérité, si la mathématique, occupée non des fins mais seulement des essences et des propriétés des figures, n'avait fait luire devant les hommes une autre norme de vérité; outre la mathématique on peut assigner d'autres causes encore (qu'il est superflu d'énumérer ici), par lesquelles il a pu arriver que les hommes aperçussent ces préjugés communs, et fussent conduits à la connaissance vraie des choses."

4. Les trois preuves de l'existence de Dieu selon Kant (1724-1804)

IL n'y a pour la raison spéculative que trois preuves possibles de l'existence de Dieu.

"Ou bien toutes les voies que l'on peut tenter dans ce dessein partent de l'expérience déterminée et de la nature particulière de notre monde sensible, que l'expérience nous fait connaître, et s'élèvent de là, suivant les lois de la causalité, jusqu'à la cause suprême existant hors du monde, ou bien elles ne prennent pour point de départ empirique qu'une expérience indéterminée, c'est-à-dire une existence quelconque, ou bien enfin elles font abstraction de toute expérience et concluent tout à fait a priori de simples concepts à l'existence d'une cause suprême. La première preuve est la preuve physico-théologique, la seconde, la preuve cosmologique, et la troisième, la preuve ontologique. Il n'y en a pas, et il ne peut pas y en avoir d'autres.

Je démontrerai que la raison n'avance pas plus dans l'une de ces voies (dans la voie empirique) que dans l'autre (dans la voie transcendantale), et qu'elle déploie vainement ses ailes pour s'élever au-dessus du monde sensible par la seule force de la spéculation. Pour ce qui est de l'ordre dans lequel ces preuves doivent être soumises à l'examen, il sera tout justement l'inverse de celui que suit la raison en se développant peu à peu et dans lequel nous les avons d'abord présentées. On verra en effet que, bien que l'expérience en fournisse la première occasion, ce n'en est pas moins le concept transcendantal qui guide la raison dans son effort et fixe dans toutes les recherches de ce genre le but qu'elle s'est proposé. Je commencerai donc par l'examen de la preuve transcendantale, et je chercherai ensuite ce que l'addition de l'empirique peut ajouter à sa valeur démonstrative. (Critique de la Raison Pure, trad, Tremsaygues et Pacaud, Paris, PUF, p 425)

4.1. La preuve ontologique

4.11. Selon Descartes (1596-1650)

"Je voulus chercher après cela d'autres vérités, et, m'étant proposé l'objet des géomètres, que je concevais comme un corps continu, ou un espace indéfiniment étendu en longueur, largeur et hauteur ou profondeur, divisible en diverses parties, qui pouvaient avoir diverses figures et grandeurs et être mues ou transposées en toutes sortes, car les géomètres supposent tout cela en leur objet, je parcourus quelques-unes de leurs plus simples démonstrations; et, ayant pris garde que cette grande certitude que tout le monde leur attribue n'est fondée que sur ce qu'on les conçoit évidemment, suivant la règle que j'ai tantôt dite, je pris garde aussi qu'il n'y avait rien du tout en elles qui m'assurât de l'existence de leur objet: car par exemple je voyais bien que, supposant un triangle, il fallait que ses trois angles fussent égaux à deux droits, mais je ne voyais rien pour cela qui m'assurât qu'il y eût au monde aucun triangle: au lieu que, revenant à examiner l'idée que j'avais d'un être parfait, je trouvais que l'existence y était comprise, en même façon qu'il est compris en celle d'un triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits, ou en celle d'une sphère que toutes ses parties sont également distantes de son centre, ou même encore plus évidemment; et que par conséquent il est pour le moins aussi certain que Dieu, qui est cet être parfait, est ou existe, qu'aucune démonstration de géométrie le saurait être.(Descartes, Discours de la Méthode, 4ème partie, Extrait)

4.12. La critique de Kant

"Si dans un jugement identique je supprime le prédicat et conserve le sujet, il en résulte une contradiction, et c'est pourquoi je dis que celui-là convient nécessairement à celui-ci. Mais si je supprime à la fois le sujet et le prédicat il n'en résulte pas de contradiction; car il n'y a plus rien avec quoi il puisse y avoir contradiction. Il est contradictoire de poser un triangle et d'en supprimer les trois angles, mais il n'y a nulle contradiction à supprimer en même temps le triangle et ses trois angles. Il en est exactement de même du concept d'un être absolument nécessaire. Si vous en supprimez l'existence, vous supprimez la chose même avec tous ses prédicats; d'où peut venir alors la contradiction ?...(p 427)

Etre n'est évidemment pas un prédicat réel, c'est-à-dire un concept de quelque chose qui puisse s'ajouter au concept d'une chose. C'est simplement la position d'une chose ou de certaines déterminations en soi. Dans l'usage logique il n'est que la copule d'un jugement. La proposition: Dieu est tout-puissant, contient deux concepts qui ont leurs objets: Dieu et toute-puissance; le petit mot est n'est point un prédicat, mais seulement ce qui met le prédicat en  relation avec le sujet. Si je prends le sujet (Dieu) avec tous ses prédicats (parmi lesquels est comprise la toute-puissance), et que je dise: Dieu est, ou, il est un Dieu je n'ajoute pas un nouveau prédicat au concept de Dieu, mais je pose seulement le sujet en lui-même avec tous ses prédicats, et en même temps l'objet qui correspond a mon concept. Tous deux doivent contenir exactement la même chose; et, de ce que (par l'expression: il est) je conçois l'objet comme absolument donné, rien de plus ne peut s'ajouter au concept qui en exprime simplement la possibilité. (p 429)

4.2. La preuve cosmologique

4.21. Chez Leibniz (1646-1716)

"36. Mais la raison suffisante se doit trouver aussi dans les vérités contingentes ou de fait, c'est-à-dire dans la suite des choses répandues par l'univers des créatures; où la  résolution   en raisons particulières pourrait aller à un détail sans bornes à cause de la variété immense des choses de la nature et de la division des corps à l'infini. Il y a une infinité de figures et de mouvements présents et passés qui entrent dans la cause efficiente de mon écriture présente, et il y a une infinité de petites inclinations et dispositions de mon âme, présentes et passées, qui entrent dans la cause finale.

37. Et comme tout ce détail n'enveloppe  que d'autres contingents antérieurs ou plus détaillés dont chacun a encore besoin d'une analyse semblable pour en rendre raison, on n'en est pas plus avancé, et il faut que la raison suffisante ou dernière soit hors de la suite ou séries de ce détail des contingences, quelque infini qu'il pourrait être.

38. Et c'est ainsi que la dernière raison des choses doit être dans une substance nécessaire dans laquelle le détail des changements ne soit qu'éminemment, comme dans la source: et c'est ce que nous appelons Dieu.

39. Or cette substance étant une raison suffisante de tout ce détail, lequel aussi est lié partout; il n'y a qu'un Dieu, et ce Dieu suffit.

40. On peut juger aussi que cette substance suprême qui est unique, universelle et nécessaire, n'ayant rien hors d'elle qui en soit indépendant, et étant une suite simple de l'être possible, doit être incapable de limites et contenir tout autant de réalité qu'il est possible. (Leibniz, Monadologie, Extraits)

4.22. La preuve cosmologique selon Kant :

"Elle se formule ainsi : si quelque chose existe, il faut aussi qu'existe un être absolument nécessaire. Or j'existe du moins moi-même. Donc il existe un être absolument nécessaire. la mineure contient une expérience; la majeure conclut d'une expérience en général à l'existence du nécessaire. La preuve commence donc proprement par l'expérience et, par conséquent, elle n'est pas tout à fait déduite a priori ou ontologiquement; et comme l'objet de toute expérience possible est le monde, on la nomme pour ce motif la preuve cosmologique. Comme, d'ailleurs, elle fait abstraction de toute propriété particulière des objets de l'expérience par où ce monde se distingue de tout autre possible, elle se distingue déjà, par son titre même, de la preuve physico-théologique qui emploie comme arguments des observations tirées de la constitution particulière de notre monde sensible. (p 432)

4.23. Critique de la preuve cosmologique :

"Pour se donner un fondement solide, cette preuve s'appuis sur l'expérience et se donne ainsi l'apparence de différer de l'argument ontologique, qui met toute sa confiance en de simples concepts purs a priori. Mais la preuve cosmologique ne se sert de cette expérience que pour faire un seul pas, c'est-à-dire pour s'élever à l'existence d'un être nécessaire en général. L'argument empirique ne peut rien apprendre concernant les attributs de cet être; et alors la raison prend tout à fait congé de lui et cherche, derrière de simples concepts, quels doivent être les attributs d'un être absolument nécessaire en général... Ce n'est donc proprement que dans la preuve ontologique par simples concepts que réside toute la force de ce qu'on prétend être une preuve cosmologique, et l'expérience, à laquelle on croit faire appel, est tout à fait inutile, pour ne nous mener qu'au concept de la nécessité absolue." (p 433-434)

4.3. La preuve physico-théologique

4.31. Exposée par Kant

"Les principaux moments de la preuve physico-théologique en question sont les suivants: 1° Il y a partout dans le monde des signes manifestes d'une ordonnance [réglée] sur un dessein déterminé, exécutée avec une grande sagesse et formant un tout d'une variété inexprimable tant par son contenu que par la grandeur infinie de son étendue. 2° Cette ordonnance conforme à un but n'est pas inhérente aux choses du monde, mais elle ne leur appartient que d'une manière contingente, c'est-à-dire que la nature de choses diverses ne pouvait pas s'accommoder d'elle-même, par tant de moyens concordants, à des fins déterminées, si ces moyens n'avaient pas été choisis tout exprès et appropriés à ce but par un principe raisonnable, ordonnant le monde suivant certaines idées. 3° Il existe donc une (ou plusieurs) cause sublime et sage, qui doit produire le monde, non pas seulement, comme une nature toute-puissante agissant aveuglément, par sa fécondité, mais comme une intelligence, par sa liberté. 4° L'unité de cette cause se conclut de celle des rapports mutuels des parties du monde, envisagés comme les diverses pièces d'une oeuvre d'art; elle s'en déduit avec certitude dans la sphère qu'atteint notre observation, et au-delà avec vraisemblance, suivant tous les principes de l'analogie. (p 443)

4.32. Critiquée par Kant

"Je ne veux pas espérer que quelqu'un puisse avoir la prétention d'apercevoir le rapport de la grandeur du monde observée par lui (quant à l'étendue et quant au contenu) à la toute-puissance, de l'ordre du monde à la sagesse suprême, de l'unité du monde à l'unité absolue de son auteur, etc. La théologie physique ne peut donc pas donner de concept déterminé de la cause suprême du monde, ni, par conséquent, être suffisante pour constituer un principe de la théologie qui, à son tour, puisse constituer le fondement de la religion.

Le pas qui nous élève jusqu'à la totalité absolue est entièrement impossible par la voie empirique. Or, on le fait, pourtant, dans l'argument physico-théologique. Quel est donc le moyen qu'on peut bien employer pour franchir un si large abîme ?

Après que l'on est arrivé à admirer la grandeur de la sagesse, de la puissance, etc., de l'auteur du monde et que l'on ne peut pas aller plus loin, on quitte tout à coup cet argument, qui se fondait sur des preuves empiriques, et l'on passe à la contingence du monde également conclue, dès l'abord, de son ordre et de sa finalité. De cette contingence seule on s'élève, uniquement au moyen de concepts transcendantaux, à l'existence d'un être absolument nécessaire et l'on va du concept de la nécessité absolue de la cause première au concept de cet être qui est universellement déterminé ou déterminant, je veux dire au concept d'une réalité qui embrasse tout. La preuve physico-théologique se trouve donc arrêtée dans son entreprise et, pour se tirer de ce mauvais pas, elle saute tout à coup sur la preuve cosmologique; mais cette dernière n'étant qu'une preuve ontologique, l'autre n'atteint ainsi son but qu'au moyen de la raison pure, bien qu'au début elle ait renié toute parenté avec elle et qu'elle ait voulu tout fonder sur des preuves éclatantes tirées de l'expérience. "(p 445)

Pierre-André Stücki

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